La russie garde l'ossétie et l'abkhasie...

LE FIGARO. L'accord passé à Moscou entre la Russie et l'Union européenne prévoit le départ des troupes russes de Géorgie d'ici un mois au maximum. Quels événements pourraient retarder le départ ?


Vladimir POUTINE. La Russie remplit toujours ses obligations, et nous allons continuer à l'avenir. La Russie n'est pas responsable de la situation en Géorgie aujourd'hui. C'est le gouvernement géorgien qui a décidé de lancer une offensive militaire. Nous n'avons fait que répondre à cette provocation armée. Nous avons dû stopper l'action militaire menée par la Géorgie et détruire des positions de combat qui tiraient sur les soldats russes et les civils ossètes. Nos militaires sont simplement restés dans les régions de sécurité qui avaient été définies par des accords antérieurs. La Fédération de Russie est le pays le plus peuplé du monde. Nous ne revendiquons donc aucun territoire supplémentaire et, si nos soldats sont restés dans les zones de sécurité, c'est simplement pour protéger l'Ossétie du Sud.


Revenons aux accords conclus lundi, à Moscou, entre la Russie et l'Union européenne.


Nous considérons ces accords comme très importants. J'apprécie le grand rôle de pacification joué par Nicolas Sarkozy en tant que président de l'Union européenne. Nous respecterons ces accords, mais il faut que nos partenaires européens les respectent de leur côté. Les observateurs des Nations unies prendront bientôt le relais dans les zones de sécurité. Si cela se déroule comme prévu, la Russie s'acquittera de toutes ses obligations. Mais encore une fois il faut que l'Union européenne remplisse les siennes.


Pourquoi refusez-vous que les observateurs supplémentaires, qui vont être envoyés en Géorgie, puissent opérer en Ossétie du Sud et en Abkhazie ?

L'Ossétie du Sud et l'Abkhazie sont maintenant des États souverains. Il faut simplement que les gouvernements de ces deux pays donnent leur accord à la présence d'observateurs internationaux sur leur territoire.


Vous saluez le grand rôle joué par Nicolas Sarkozy dans les négociations. Plus généralement, où en sont vos relations ?



Nos relations présentent un caractère constructif, et progressivement nous avons établi des rapports très amicaux. Nous nous confions davantage l'un à l'autre. Et, je vais vous faire une confi­dence, comme il s'intéresse aux arts martiaux, nous avons décidé de faire un entraînement ensemble.


Dans une interview à CNN, le 28 août dernier, vous avez émis l'hypothèse de la présence de civils américains aux côtés de l'armée géorgienne. Confirmez-vous cette hypothèse et avez-vous trouvé des preuves ?


Je ne parlais évidemment pas de militaires américains mais de civils américains. Il est indiscutable que les Américains ont armé l'armée géorgienne : ce sont des instructeurs américains qui ont entraîné cette armée. D'ailleurs, l'ancienne ministre géorgienne des Affaires étrangères, Salomé Zourabichvili, l'a reconnu publiquement. Nous avons des preuves qu'il y avait des civils américains dans les zones de sécurité où seuls les autochtones et les observateurs internationaux devraient se trouver. Nous avons fourni à la presse la copie d'un passeport de citoyen américain que nous avons trouvé sur place. Donc, très clairement, l'hypothèse que j'avais formulée, il y a quinze jours, sur la présence de civils américains en Géorgie a bien été confirmée.


Vos relations avec les États-Unis se sont fortement dégradées ces derniers mois. Qu'attendez-vous de la nouvelle Administration américaine ?


J'attends que les relations s'améliorent, mais c'est aux Américains de faire l'effort car la situation s'est dégradée de leur seul fait. Du temps du président Lincoln, un secrétaire d'État américain avait dit que les États-Unis voulaient des relations privilégiées avec la Russie, car la Russie veut toujours du bien à l'Amérique. Depuis cette époque, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Nos relations, selon les moments, ont eu des caractéristiques différentes. Mais toujours, à l'occasion des situations extrêmes, les États-Unis et la Russie se sont retrouvées côte à côte. Cela a été le cas au cours des deux guerres mondiales, la Russie ne l'oubliera jamais et je souhaite que nos partenaires américains fassent de même.


Vos relations avec la Chine se sont beaucoup approfondies ces derniers temps. Êtes-vous déçu que la Chine ne vous ait pas soutenu à propos de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud ?


Je n'ai pas du tout été déçu. Nous comprenons parfaitement les priorités de la politique intérieure et extérieure de la Chine. Quand j'étais à Pékin pour les Jeux olympiques, j'ai dit clairement aux dirigeants chinois que je ne souhaitais pas les placer dans une situation embarrassante. D'ailleurs, concernant la reconnaissance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, nous ne demandons rien à personne, aujourd'hui aussi bien que demain. Pour qu'un pays acquière la souveraineté internationale, il suffit qu'un seul État l'ait reconnu.


Les manquements à la liberté de la presse et les crimes contre les journalistes en Russie sont pour nous, Français, un lourd sujet de préoccupation.


Je suis toujours étonné par le nombre de questions qu'on me pose sur la liberté de la presse dans mon pays. Après les événements d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie, tout observateur impartial doit s'interroger sur la presse soi-disant libre. Durant les deux premiers jours de combat, quand l'issue était incertaine, la presse occidentale s'est tue comme on le lui avait commandé, et je pense qu'on le lui avait commandé. Puis, quand l'armée russe a réagi avec efficacité, la machine à propagande s'est mise en route pour nous mettre en accusation, en oubliant la cause initiale : la provocation armée de la Géorgie. Cela prêterait à rire si ce n'était pas si triste. On a vu ainsi la chaîne américaine d'information Fox News interroger une fillette de 12 ans et sa tante, et quand elles ont commencé à raconter ce qu'elles avaient vraiment vécu et qui contredisait les thèses américaines, on les a tout simplement empêchées de parler.


Vous savez bien qu'aux États-Unis il y a une multiplicité de chaînes d'information.


Non, elles disent toutes la même chose. Mais je veux revenir sur la liberté de la presse en Russie. Nous avons aujourd'hui trois mille cinq cents médias électro­niques et quatre mille médias écrits ; sans compter les sites Internet où chacun peut s'exprimer, y compris pour dire n'importe quoi. Je vois donc mal comment on pourrait contrôler les médias dans mon pays. Quant aux crimes contre les journalistes, nous travaillons avec acharnement pour retrouver les coupables.


La baisse très forte de la Bourse de Moscou, ces dernières semaines, et le retrait de certains capitaux étrangers en raison des tensions au Caucase vous inquiètent-ils ?



La Russie continue à se développer très vite. J'avais fixé en 2003, comme objectif, à moyen terme, le doublement du produit intérieur brut. Nous y arriverons fin 2009 ou début 2010. En 2007, la croissance russe a dépassé 8 % et nous sommes pour les premiers mois de l'année 2008 sur la même tendance. Nous avons, il est vrai, une reprise de l'inflation, mais comme tous les pays occidentaux. Quant aux capitaux étrangers, il nous est arrivé certaines années de voir partir de 15 à 25 milliards de dollars. L'année 2007 a été positive : avec l'entrée de 81 milliards de dollars, nous serons cette année aux alentours de 45 milliards de dollars. À vrai dire, nous n'avons pas besoin de davantage parce que cela augmenterait trop fortement nos liquidités et du même coup nourrirait l'inflation. Pour moi, il n'y a aucun effet de la crise au Caucase sur les investissements étrangers en Russie.


La Russie souffre-t-elle du ralentissement économique européen et américain ?


Les États-Unis et l'Europe subissent l'effet de la crise du subprime et du manque de liquidités. Nous n'avons pas de problème de liquidités ni de crise de subprime, et je suis sûr que nous n'en n'aurons pas, car notre croissance reste élevée et nous faisons preuve de bon sens en matière économique. Nous avons un budget en excédent et un commerce extérieur positif. Nos réserves, qui sont de 500 milliards de dollars, nous placent en troisième position mondiale derrière la Chine et le Japon. Certes, nous sommes plus modestes sur le plan social, mais tout de même le pouvoir d'achat a augmenté de 7 % au premier trimestre 2008, et le salaire minimum de 11,3 %.


Un séminaire franco-russe gouvernemental va se tenir la semaine prochaine à Sotchi en votre présence et en présence de M. Fillon. Qu'attendez-vous des relations franco-russes ?



Il est clair que la France est un partenaire privilégié pour la Russie. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons choisi de permettre aux sociétés françaises d'accéder à nos réserves, y compris en hydrocarbures. Nous avons des relations fructueuses dans le militaire, le spatial et la technique. Je souhaite que nous travaillions davantage ensemble dans la haute technologie. Gaz de France et Total sont fortement présents en Russie. Je suis heureux de la présence de Total à hauteur de 25 % dans le champ pétrolier de Shtokman, en mer de Barents. Mais la France est moins présente en Russie que d'autres pays européens. Je suis sûr que la présence de M. Fillon et de ses ministres la semaine prochaine va nous permettre de trouver des domaines supplémentaires de coopération.


Comment s'entendent le nouveau président Medvedev et le nouveau premier ministre Poutine ?



Il y a dix-sept ans que nous travaillons ensemble. Quand j'étais président, M. Medvedev dirigeait mon administration. C'est un remarquable professionnel, de grande expérience. Nous savions à l'avance avec M. Medvedev qu'il y aurait des attaques pour prétendre qu'une fois élu il n'était pas indépendant. Ce n'était pas trop difficile de le prédire il y a un an ou six mois. Les pouvoirs du président sont fixés par la Constitution. Cela ne l'empêche pas de mener des consultations avec le Parlement et le Conseil de sécurité de la Fédération de Russie. Mais c'est le président Medvedev qui a la décision finale tant sur les affaires internationales que sur les questions clés du développement du pays.