L'ultime sacrifice du président
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L'ultime sacrifice du président
L'ultime sacrifice du président
Le Point - Publié le 03/03/2011 à 10:54
Anna Cabana
Le Point - Publié le 03/03/2011 à 10:54
Ce week-end à la Lanterne où Nicolas Sarkozy a rompu avec lui-même.
Evincer son meilleur ami du gouvernement et ériger son rival de toujours en recours : c'est à ce choix cornélien que s'est résolu Nicolas Sarkozy, l'autre dimanche.
Fallait-il que l'heure fût grave pour que le président consente à ce double sacrifice ! Car ce n'est pas autre chose. Brice Hortefeux, l'ami de trente-cinq ans, jamais pris en défaut de fidélité, remercié du ministère de l'Intérieur sans même avoir droit à une citation lors de l'allocution radiotélévisée du chef de l'Etat ; Alain Juppé, le fils politique que Jacques Chirac lui a toujours préféré, bombardé sauveur d'une diplomatie française en péril.
Deux décisions hautement symboliques censées fissurer à jamais l'image clanique dont pâtit Sarkozy."Personne ne pourra plus dire qu'il a privilégié ses amis, déclare Franck Louvrier, le conseiller en communication du président.Il démontre que son objectif, c'est l'intérêt général."
Dans les annales politiques, les dates des 26 et 27 février ne feront pas figure - ordinaire - d'énième week-end de remaniement, conçu depuis les brumes douces-amères de la Lanterne, ce pavillon d'Etat versaillais qui abrite les petits conciliabules et les grandes décisions de Sarkozy."Il y a une nouvelle donne, il faut que chacun la comprenne", a martelé le président tout au long du week-end aux "pèlerins de la Lanterne"- ainsi la poignée de chanceux invités à faire le déplacement se sont-ils baptisés."Une nouvelle donne", a répété le président. Il ne croyait pas si bien dire : les 26 et 27 février, le sarkozysme a rompu avec lui-même.
Place au sarkozysme sacrificiel. Un oxymore dissonant. Une affreuse allitération. Presque un reniement dans les termes. Le sarkozysme, on le connaissait transgressif, sans gêne, hyperaffectif, outrancier et fier de l'être ; on le découvre comme honteux de lui-même, avide de respectabilité, prêt à trancher dans le vif de l'amitié pour se refaire une dignité.
C'est ainsi que la décision a été prise, samedi midi, à la Lanterne, de limoger le dévoué Hortefeux, non pas seulement du ministère de l'Intérieur, mais du gouvernement. L'intéressé pensait être envoyé à la Défense -"j'aurais moins de pression", faisait-il valoir -, il n'imaginait pas se retrouver hors sol ministériel."Jeudi soir, c'était on change MAM, point barre ; vendredi, c'était Brice à la Défense, et samedi, c'était exit Brice", résume un proche de Sarkozy.
Verdict. Depuis le fol embrasement de l'affaire MAM, Sarkozy appréhendait de voir enfler une polémique Hortefeux.
Voilà quelques semaines que le président s'inquiétait devant ses collaborateurs des conséquences politiques de l'affaire dite de l'Auvergnat. Ces mauvaises plaisanteries devant un jeune Beur de l'UMP qui ont valu à Hortefeux d'être, le 4 juin 2010, condamné pour injure à caractère racial, et qui seront rejugées en appel le 9 juin. Une date souvent évoquée par le président devant son ami, ces temps-ci.
Avec ces mots : "Tes affaires judiciaires, c'est une épée de Damoclès !" Si les sondages avaient été meilleurs pour Hortefeux, et les chiffres de la sécurité à la hauteur des ambitions de Sarkozy, le chef de l'Etat ne se serait pas laissé épouvanter. Mais là... Samedi 27, le verdict présidentiel tombe : " Ce n'est pas le moment pour moi de me retrouver avec mon ministre de l'Intérieur condamné pour racisme. En plus, tout le monde va dire que c'est mon meilleur ami... "
Désormais, "tout le monde" constate que Sarkozy s'est séparé de son plus fidèle compagnon de route en même temps que de cette chiraquienne qu'il n'a jamais aimée et dont l'histoire ne s'écrit plus qu'au passé décomposé, Michèle Alliot-Marie.
A elle seule, cette concomitance cautionne un amalgame fort peu amical ! Lors de son rendez-vous de la dernière chance, dimanche 27 février à 16 heures, à l'Elysée (car Sarkozy a quitté la Lanterne après le déjeuner), Hortefeux a bien tenté d'arguer que lier son propre départ à celui de MAM, c'était reconnaître tacitement un double échec, et que ce n'était pas l'intérêt du chef de l'Etat. Il avait compris qu'il serait impossible de convaincre Sarkozy de renoncer à l'idée de nommer Claude Guéant à l'Intérieur, mais il espérait encore pouvoir récupérer un portefeuille réduit à l'Immigration.
Choc. Jusqu'à la dernière minute, il n'a pas voulu croire que son heure ministérielle avait sonné."Tout n'est pas encore figé du tout, jurait-il, le samedi soir.La dernière fois, à cette heure-là, j'étais secrétaire général de l'UMP."
Lors du remaniement de novembre, en effet, il l'avait échappé de peu - Sarkozy le voulait d'abord au secrétariat général de l'Elysée puis au secrétariat général de l'UMP - et il n'eut pas trop de sa complicité avec Jean-François Copé pour contrebalancer les desiderata présidentiels...
Ce dimanche, l'exploit ne fut pas réédité. L'entretien fut court. A 16 h 40, Hortefeux était déjà de retour au ministère de l'Intérieur, enfermé dans son bureau, sous le choc."Ce n'est pas définitif", nous assurait-il encore, mais ni le coeur ni la voix n'y étaient plus. Il s'accrochait malgré tout à l'espoir que son entrevue avec François Fillon puisse changer les choses, le Premier ministre ayant émis des réserves à la nomination de Gérard Longuet à la Défense... A 17 h 30, Hortefeux entrait discrètement à Matignon par le pavillon de musique, au fond du jardin.
Dans la bibliothèque de l'Elysée, le prompteur était déjà installé. Le président allait bientôt commencer d'enregistrer son allocution, debout devant les reliures rouges et dorées. L'oeil cerné et le cheveu blanchi... La posture sacrificielle de circonstance. N'a-t-il pas affirmé à ses collaborateurs : "Je suis obligé de m'arracher un bras" ?
Devant la caméra, il ne prononcera pas le nom d'Hortefeux. Plus tard, sur le coup de 22 heures, il appellera un ami, qui l'est aussi d'Hortefeux. Pas seulement pour s'entendre dire que sa prestation avait été formidablement présidentielle.
Pour se délester d'un peu de culpabilité, aussi : "Bon, pour Brice, c'est pas facile...""Pas facile", après presque six ans de gouvernement, d'être renvoyé au Parlement européen - il souhaite récupérer son siège - et à sa chère Auvergne.
Un peu plus tôt dans la soirée, Hortefeux contactait son ami Franck Louvrier pour lui demander d'envoyer un communiqué entérinant sa nomination comme conseiller à l'Elysée. Considérant qu'Hortefeux "mérite mieux qu'une annonce précipitée", Louvrier a préféré ciseler une formule orale par lui répétée à tous les journalistes : "Hortefeux sera très prochainement appelé à des fonctions éminentes."
Car "il y a Henri...", comme disent en soupirant et d'un air entendu les conseillers élyséens. Henri Guaino. Maintenant qu'il est débarrassé de Guéant, celui-ci s'alarme déjà du titre d'Hortefeux et de sa place dans l'organigramme élyséen : le président aurait-il le mauvais goût de le nommer "conseiller spécial" comme lui - atteinte insupportable au principe d'exclusivité si cher à Guaino ? Sans parler du bureau, une attribution ô combien stratégique. Il y a bien celui qu'occupait naguère Jérôme Monod, du temps où il était l'éminence politique de Jacques Chirac. L'aile, qui jouxte les appartements privés, est pour l'heure inoccupée...
Pleurer. Dimanche soir, à minuit et quart, le portable d'Hortefeux retentit.
- Tu dormais pas ? interroge Jean-Louis Borloo, au bout du fil.
- Ben si...
- Ce qui t'arrive est très bien pour toi. Le gouvernement, c'est usant... Je parle d'expérience. Maintenant, tu vas faire de la vraie politique."
On croirait entendre Sarkozy... Mais le président, lui, ajoute : "J'ai tellement le sens de l'Etat que je suis capable de me séparer des miens." Réplique de l'un de ses proches : " Il a oublié que c'est en étant clanique qu'il a gagné en 2007..."
Lâcher son grand copain : est-ce le meilleur signal qu'un chef de guerre puisse envoyer à ses bataillons, à l'orée d'une campagne qui requerra toutes les bonnes volontés ? S'il doit n'en rester qu'un, ce sera Hortefeux. Avant même d'être, le 1er mars, convié à dîner par le président et Carla dans un restaurant du Tout-Paris, l'ami limogé n'en démordait pas : "Les décisions de Nicolas sont les bonnes décisions."
L'autre décision, sacrificielle s'il en est, c'est le sacre diplomatique de Juppé, celui dont, trente ans durant, Sarkozy a parlé avec un goût de meurtre sur les lèvres, le seul homme à l'avoir jamais fait pleurer - c'est ce que Sarkozy raconta jadis à Christine, la première épouse de Juppé -, celui qui avait tout pour être président de la République, parce qu'il était le meilleur d'entre eux, parce que Chirac l'avait choisi.
Ce n'est pas le moindre des paradoxes de Nicolas Sarkozy que de faire de cet homme-là la caution de sérieux et de compétence de sa fin de mandat."Avoir Juppé comme vice-Premier ministre, c'est assez digne, non ?" se réjouit un conseiller du président. "Digne", peut-être.
Mais contre nature, assurément."Ils sont tellement différents que si on croisait Juppé et Sarkozy on ferait un homme politique idéal, s'amuse un ami de Juppé.Ou bien un monstre !" Il ne déplaît pas au maire de Bordeaux de se sentir indispensable à son ennemi historique, d'être par lui consulté quasiment chaque jour."Parfois on sent chez Nicolas un peu de fragilité, un peu de solitude", confie-t-il avec délice.
Ce n'est pas le coeur qui fait travailler ces deux-là de conserve, mais une fascination-répulsion réciproque.
Chacun tient l'autre pour un fou horripilant et admirable. Juppé est impressionnée par la vitalité de Sarkozy, son charisme, sa façon de s'emparer de son interlocuteur dans le secret d'un tête-à-tête. Sarkozy est épaté par l'autorité morale, physique et intellectuelle de Juppé. Une passion ?"
Notre relation ne sera jamais entièrement dépassionnée, convient le numéro deux du gouvernement.Parce qu'il y a toujours de la séduction de sa part, et de ma part la volonté d'échapper à la séduction. Donc ce n'est pas tout à fait rationnel."
Promouvoir Juppé comme le supplément d'âme et d'Etat du sarkozysme, ça a quelque chose de masochiste, pour le président.
Car Juppé a beau être légitimiste, il ne veut pas se donner à lui-même le sentiment d'être aux ordres.
Quand Sarkozy l'appelle, il ne répond pas toutes affaires cessantes.
Le 18 février, alors qu'une grande interview audacieuse du ministre de la Défense s'étalait dans Le Figaro et qu'il venait d'atterrir à Toulon, l'officier de sécurité lui tend un téléphone : "Le président cherche à vous joindre." Il est 9 h 44, Juppé s'apprête à sortir de l'avion."Pas maintenant, ce n'est pas le moment", rétorque-t-il. Ils ne se parleront qu'à... 16 h 45.
En raccrochant, Juppé se tourne vers nous : "Je ne vous dis pas la chance que j'ai, hein ! Etre embrassé par un président..." Il rit.
Un rire qui se moque autant de Sarkozy que de lui-même. Juppé s'est bien gardé de répondre "moi aussi", après que le chef de l'Etat lui a dit : "Je t'embrasse." "Moi, j'embrasse pas", nous déclarera Juppé dans l'avion du retour en buvant une rasade de whisky. Il ajoute toutefois, ravi : "Sarkozy était très très content de mon interview. "C'est ça qu'il faut faire, m'a-t-il félicité. Il faut du sang-froid.""
Le président l'a-t-il complimenté aussi pour ses proclamations plus qu'impertinentes sur les vacances - il a assuré qu'il continuerait de les prendre là où il a envie ?"Il ne m'en a rien dit."
Spectral. Un peu de résistance n'a jamais nui, avec Sarkozy..."Je suis content de moi, en ce moment", se rengorge Juppé, ce jour-là, heureux de faire entendre sa propre petite musique d'"homme libre"- selon l'expression qu'il a employée dans l'entretien du Figaro.
Ce qui n'a pas échappé à... François Fillon."Alors, tu es un homme libre ?" l'a apostrophé le Premier ministre "avec gourmandise", précise Juppé. Et un brin de jalousie... Une semaine auparavant, Juppé admettait : "C'est vrai que je ne gêne personne. Il faut gêner, inquiéter un peu..." C'est chose faite, maintenant qu'après cent jours passés à la Défense il fait un retour en fanfare au Quai d'Orsay.
Son nouveau poids politique le dispense de certaines angoisses : il n'en est plus à avoir peur, comme cet automne, de "porter le cartable de Nicolas" ou de se faire court-circuiter par l'entourage de Sarkozy - contrairement à ce qui a été écrit, il ne s'est pas abaissé à demander la tête de Claude Guéant, qui avait pris goût à l'Afrique, ou celle du sherpa Jean-David Levitte... Le premier a été exfiltré vers le ministère de l'Intérieur pour le bonheur de tous (Juppé, Fillon, Buisson, Minc...) hormis Hortefeux ; le second affiche la pâleur spectrale de l'homme que le pouvoir a déserté.
Cette renaissance phénixienne de Juppé fait (au moins) un inquiet : Fillon. Si Sarkozy est prêt, au nom de l'intérêt supérieur de la nation, à faire la courte échelle à l'ancien Premier ministre, lui non !
C'est tout sauf un hasard si, le lendemain du remaniement, sur les ondes de RTL, Fillon a perfidement souligné l'écartèlement de Juppé entre sa fonction ministérielle et la promesse faite aux Bordelais de ne pas les abandonner : "Il est incontestable que c'est un poste qui, par les déplacements qu'il impose, fera qu'il sera moins présent à Bordeaux", a asséné le chef du gouvernement.
Etre attaqué par un homme aussi calculateur que Fillon, c'est mieux qu'un brevet de résurrection politique... Et encore, le Sarthois ne sait pas que Jean-François Copé a, en début de semaine dernière, conseillé à Sarkozy de profiter du remaniement pour "remplacer Fillon par un vieux comme Juppé"(sic). Ce sacrifice-là, Sarkozy ne l'a envisagé qu'un court instant...
Evincer son meilleur ami du gouvernement et ériger son rival de toujours en recours : c'est à ce choix cornélien que s'est résolu Nicolas Sarkozy, l'autre dimanche.
Fallait-il que l'heure fût grave pour que le président consente à ce double sacrifice ! Car ce n'est pas autre chose. Brice Hortefeux, l'ami de trente-cinq ans, jamais pris en défaut de fidélité, remercié du ministère de l'Intérieur sans même avoir droit à une citation lors de l'allocution radiotélévisée du chef de l'Etat ; Alain Juppé, le fils politique que Jacques Chirac lui a toujours préféré, bombardé sauveur d'une diplomatie française en péril.
Deux décisions hautement symboliques censées fissurer à jamais l'image clanique dont pâtit Sarkozy."Personne ne pourra plus dire qu'il a privilégié ses amis, déclare Franck Louvrier, le conseiller en communication du président.Il démontre que son objectif, c'est l'intérêt général."
Dans les annales politiques, les dates des 26 et 27 février ne feront pas figure - ordinaire - d'énième week-end de remaniement, conçu depuis les brumes douces-amères de la Lanterne, ce pavillon d'Etat versaillais qui abrite les petits conciliabules et les grandes décisions de Sarkozy."Il y a une nouvelle donne, il faut que chacun la comprenne", a martelé le président tout au long du week-end aux "pèlerins de la Lanterne"- ainsi la poignée de chanceux invités à faire le déplacement se sont-ils baptisés."Une nouvelle donne", a répété le président. Il ne croyait pas si bien dire : les 26 et 27 février, le sarkozysme a rompu avec lui-même.
Place au sarkozysme sacrificiel. Un oxymore dissonant. Une affreuse allitération. Presque un reniement dans les termes. Le sarkozysme, on le connaissait transgressif, sans gêne, hyperaffectif, outrancier et fier de l'être ; on le découvre comme honteux de lui-même, avide de respectabilité, prêt à trancher dans le vif de l'amitié pour se refaire une dignité.
C'est ainsi que la décision a été prise, samedi midi, à la Lanterne, de limoger le dévoué Hortefeux, non pas seulement du ministère de l'Intérieur, mais du gouvernement. L'intéressé pensait être envoyé à la Défense -"j'aurais moins de pression", faisait-il valoir -, il n'imaginait pas se retrouver hors sol ministériel."Jeudi soir, c'était on change MAM, point barre ; vendredi, c'était Brice à la Défense, et samedi, c'était exit Brice", résume un proche de Sarkozy.
Verdict. Depuis le fol embrasement de l'affaire MAM, Sarkozy appréhendait de voir enfler une polémique Hortefeux.
Voilà quelques semaines que le président s'inquiétait devant ses collaborateurs des conséquences politiques de l'affaire dite de l'Auvergnat. Ces mauvaises plaisanteries devant un jeune Beur de l'UMP qui ont valu à Hortefeux d'être, le 4 juin 2010, condamné pour injure à caractère racial, et qui seront rejugées en appel le 9 juin. Une date souvent évoquée par le président devant son ami, ces temps-ci.
Avec ces mots : "Tes affaires judiciaires, c'est une épée de Damoclès !" Si les sondages avaient été meilleurs pour Hortefeux, et les chiffres de la sécurité à la hauteur des ambitions de Sarkozy, le chef de l'Etat ne se serait pas laissé épouvanter. Mais là... Samedi 27, le verdict présidentiel tombe : " Ce n'est pas le moment pour moi de me retrouver avec mon ministre de l'Intérieur condamné pour racisme. En plus, tout le monde va dire que c'est mon meilleur ami... "
Désormais, "tout le monde" constate que Sarkozy s'est séparé de son plus fidèle compagnon de route en même temps que de cette chiraquienne qu'il n'a jamais aimée et dont l'histoire ne s'écrit plus qu'au passé décomposé, Michèle Alliot-Marie.
A elle seule, cette concomitance cautionne un amalgame fort peu amical ! Lors de son rendez-vous de la dernière chance, dimanche 27 février à 16 heures, à l'Elysée (car Sarkozy a quitté la Lanterne après le déjeuner), Hortefeux a bien tenté d'arguer que lier son propre départ à celui de MAM, c'était reconnaître tacitement un double échec, et que ce n'était pas l'intérêt du chef de l'Etat. Il avait compris qu'il serait impossible de convaincre Sarkozy de renoncer à l'idée de nommer Claude Guéant à l'Intérieur, mais il espérait encore pouvoir récupérer un portefeuille réduit à l'Immigration.
Choc. Jusqu'à la dernière minute, il n'a pas voulu croire que son heure ministérielle avait sonné."Tout n'est pas encore figé du tout, jurait-il, le samedi soir.La dernière fois, à cette heure-là, j'étais secrétaire général de l'UMP."
Lors du remaniement de novembre, en effet, il l'avait échappé de peu - Sarkozy le voulait d'abord au secrétariat général de l'Elysée puis au secrétariat général de l'UMP - et il n'eut pas trop de sa complicité avec Jean-François Copé pour contrebalancer les desiderata présidentiels...
Ce dimanche, l'exploit ne fut pas réédité. L'entretien fut court. A 16 h 40, Hortefeux était déjà de retour au ministère de l'Intérieur, enfermé dans son bureau, sous le choc."Ce n'est pas définitif", nous assurait-il encore, mais ni le coeur ni la voix n'y étaient plus. Il s'accrochait malgré tout à l'espoir que son entrevue avec François Fillon puisse changer les choses, le Premier ministre ayant émis des réserves à la nomination de Gérard Longuet à la Défense... A 17 h 30, Hortefeux entrait discrètement à Matignon par le pavillon de musique, au fond du jardin.
Dans la bibliothèque de l'Elysée, le prompteur était déjà installé. Le président allait bientôt commencer d'enregistrer son allocution, debout devant les reliures rouges et dorées. L'oeil cerné et le cheveu blanchi... La posture sacrificielle de circonstance. N'a-t-il pas affirmé à ses collaborateurs : "Je suis obligé de m'arracher un bras" ?
Devant la caméra, il ne prononcera pas le nom d'Hortefeux. Plus tard, sur le coup de 22 heures, il appellera un ami, qui l'est aussi d'Hortefeux. Pas seulement pour s'entendre dire que sa prestation avait été formidablement présidentielle.
Pour se délester d'un peu de culpabilité, aussi : "Bon, pour Brice, c'est pas facile...""Pas facile", après presque six ans de gouvernement, d'être renvoyé au Parlement européen - il souhaite récupérer son siège - et à sa chère Auvergne.
Un peu plus tôt dans la soirée, Hortefeux contactait son ami Franck Louvrier pour lui demander d'envoyer un communiqué entérinant sa nomination comme conseiller à l'Elysée. Considérant qu'Hortefeux "mérite mieux qu'une annonce précipitée", Louvrier a préféré ciseler une formule orale par lui répétée à tous les journalistes : "Hortefeux sera très prochainement appelé à des fonctions éminentes."
Car "il y a Henri...", comme disent en soupirant et d'un air entendu les conseillers élyséens. Henri Guaino. Maintenant qu'il est débarrassé de Guéant, celui-ci s'alarme déjà du titre d'Hortefeux et de sa place dans l'organigramme élyséen : le président aurait-il le mauvais goût de le nommer "conseiller spécial" comme lui - atteinte insupportable au principe d'exclusivité si cher à Guaino ? Sans parler du bureau, une attribution ô combien stratégique. Il y a bien celui qu'occupait naguère Jérôme Monod, du temps où il était l'éminence politique de Jacques Chirac. L'aile, qui jouxte les appartements privés, est pour l'heure inoccupée...
Pleurer. Dimanche soir, à minuit et quart, le portable d'Hortefeux retentit.
- Tu dormais pas ? interroge Jean-Louis Borloo, au bout du fil.
- Ben si...
- Ce qui t'arrive est très bien pour toi. Le gouvernement, c'est usant... Je parle d'expérience. Maintenant, tu vas faire de la vraie politique."
On croirait entendre Sarkozy... Mais le président, lui, ajoute : "J'ai tellement le sens de l'Etat que je suis capable de me séparer des miens." Réplique de l'un de ses proches : " Il a oublié que c'est en étant clanique qu'il a gagné en 2007..."
Lâcher son grand copain : est-ce le meilleur signal qu'un chef de guerre puisse envoyer à ses bataillons, à l'orée d'une campagne qui requerra toutes les bonnes volontés ? S'il doit n'en rester qu'un, ce sera Hortefeux. Avant même d'être, le 1er mars, convié à dîner par le président et Carla dans un restaurant du Tout-Paris, l'ami limogé n'en démordait pas : "Les décisions de Nicolas sont les bonnes décisions."
L'autre décision, sacrificielle s'il en est, c'est le sacre diplomatique de Juppé, celui dont, trente ans durant, Sarkozy a parlé avec un goût de meurtre sur les lèvres, le seul homme à l'avoir jamais fait pleurer - c'est ce que Sarkozy raconta jadis à Christine, la première épouse de Juppé -, celui qui avait tout pour être président de la République, parce qu'il était le meilleur d'entre eux, parce que Chirac l'avait choisi.
Ce n'est pas le moindre des paradoxes de Nicolas Sarkozy que de faire de cet homme-là la caution de sérieux et de compétence de sa fin de mandat."Avoir Juppé comme vice-Premier ministre, c'est assez digne, non ?" se réjouit un conseiller du président. "Digne", peut-être.
Mais contre nature, assurément."Ils sont tellement différents que si on croisait Juppé et Sarkozy on ferait un homme politique idéal, s'amuse un ami de Juppé.Ou bien un monstre !" Il ne déplaît pas au maire de Bordeaux de se sentir indispensable à son ennemi historique, d'être par lui consulté quasiment chaque jour."Parfois on sent chez Nicolas un peu de fragilité, un peu de solitude", confie-t-il avec délice.
Ce n'est pas le coeur qui fait travailler ces deux-là de conserve, mais une fascination-répulsion réciproque.
Chacun tient l'autre pour un fou horripilant et admirable. Juppé est impressionnée par la vitalité de Sarkozy, son charisme, sa façon de s'emparer de son interlocuteur dans le secret d'un tête-à-tête. Sarkozy est épaté par l'autorité morale, physique et intellectuelle de Juppé. Une passion ?"
Notre relation ne sera jamais entièrement dépassionnée, convient le numéro deux du gouvernement.Parce qu'il y a toujours de la séduction de sa part, et de ma part la volonté d'échapper à la séduction. Donc ce n'est pas tout à fait rationnel."
Promouvoir Juppé comme le supplément d'âme et d'Etat du sarkozysme, ça a quelque chose de masochiste, pour le président.
Car Juppé a beau être légitimiste, il ne veut pas se donner à lui-même le sentiment d'être aux ordres.
Quand Sarkozy l'appelle, il ne répond pas toutes affaires cessantes.
Le 18 février, alors qu'une grande interview audacieuse du ministre de la Défense s'étalait dans Le Figaro et qu'il venait d'atterrir à Toulon, l'officier de sécurité lui tend un téléphone : "Le président cherche à vous joindre." Il est 9 h 44, Juppé s'apprête à sortir de l'avion."Pas maintenant, ce n'est pas le moment", rétorque-t-il. Ils ne se parleront qu'à... 16 h 45.
En raccrochant, Juppé se tourne vers nous : "Je ne vous dis pas la chance que j'ai, hein ! Etre embrassé par un président..." Il rit.
Un rire qui se moque autant de Sarkozy que de lui-même. Juppé s'est bien gardé de répondre "moi aussi", après que le chef de l'Etat lui a dit : "Je t'embrasse." "Moi, j'embrasse pas", nous déclarera Juppé dans l'avion du retour en buvant une rasade de whisky. Il ajoute toutefois, ravi : "Sarkozy était très très content de mon interview. "C'est ça qu'il faut faire, m'a-t-il félicité. Il faut du sang-froid.""
Le président l'a-t-il complimenté aussi pour ses proclamations plus qu'impertinentes sur les vacances - il a assuré qu'il continuerait de les prendre là où il a envie ?"Il ne m'en a rien dit."
Spectral. Un peu de résistance n'a jamais nui, avec Sarkozy..."Je suis content de moi, en ce moment", se rengorge Juppé, ce jour-là, heureux de faire entendre sa propre petite musique d'"homme libre"- selon l'expression qu'il a employée dans l'entretien du Figaro.
Ce qui n'a pas échappé à... François Fillon."Alors, tu es un homme libre ?" l'a apostrophé le Premier ministre "avec gourmandise", précise Juppé. Et un brin de jalousie... Une semaine auparavant, Juppé admettait : "C'est vrai que je ne gêne personne. Il faut gêner, inquiéter un peu..." C'est chose faite, maintenant qu'après cent jours passés à la Défense il fait un retour en fanfare au Quai d'Orsay.
Son nouveau poids politique le dispense de certaines angoisses : il n'en est plus à avoir peur, comme cet automne, de "porter le cartable de Nicolas" ou de se faire court-circuiter par l'entourage de Sarkozy - contrairement à ce qui a été écrit, il ne s'est pas abaissé à demander la tête de Claude Guéant, qui avait pris goût à l'Afrique, ou celle du sherpa Jean-David Levitte... Le premier a été exfiltré vers le ministère de l'Intérieur pour le bonheur de tous (Juppé, Fillon, Buisson, Minc...) hormis Hortefeux ; le second affiche la pâleur spectrale de l'homme que le pouvoir a déserté.
Cette renaissance phénixienne de Juppé fait (au moins) un inquiet : Fillon. Si Sarkozy est prêt, au nom de l'intérêt supérieur de la nation, à faire la courte échelle à l'ancien Premier ministre, lui non !
C'est tout sauf un hasard si, le lendemain du remaniement, sur les ondes de RTL, Fillon a perfidement souligné l'écartèlement de Juppé entre sa fonction ministérielle et la promesse faite aux Bordelais de ne pas les abandonner : "Il est incontestable que c'est un poste qui, par les déplacements qu'il impose, fera qu'il sera moins présent à Bordeaux", a asséné le chef du gouvernement.
Etre attaqué par un homme aussi calculateur que Fillon, c'est mieux qu'un brevet de résurrection politique... Et encore, le Sarthois ne sait pas que Jean-François Copé a, en début de semaine dernière, conseillé à Sarkozy de profiter du remaniement pour "remplacer Fillon par un vieux comme Juppé"(sic). Ce sacrifice-là, Sarkozy ne l'a envisagé qu'un court instant...
Anna Cabana
Jeanclaude- Député
- Nombre de messages : 7476
Age : 77
Date d'inscription : 26/09/2008
Re: L'ultime sacrifice du président
Anna Cabana
Anna Cabana (Anna Bitton de son nom de jeune fille) est une journaliste et une écrivaine française.
Elle est grand reporter pour l'hebdomadaire "Le Point"1.
De 2002 à 2007, elle fut journaliste politique au sein de la rédaction de "Marianne."
Elle est née le 6 août 1979 à Montpellier. Elle a épousé Yves Cabana en mai 2009.
En janvier 2008, elle publie Cécilia (sous le nom d'Anna Bitton). Ce livre lui vaut d'être attaquée en référé par l'ex-first lady, qui demande la suspension de la publication de l'ouvrage2. L'ex-première dame est déboutée3. Le livre est un succès de librairie: 200 000 exemplaires vendus.
En janvier 2010, Anna Cabana publie Villepin : La verticale du fou
Le 11 février 2010, elle reçoit le prix Louis Hachette pour son article "Sarkozy-Villepin, histoire secrète d'une haine", paru dans "Le Point" du 10 septembre 200910.
Une journaliste ??? Que nenni , seulement une anti sarkozyste primaire , et acharnée !!!
C'est de la marde son torchon d'article !
Re: L'ultime sacrifice du président
quelques commentaires des lecteurs de cette merdialeuse ..
et bien , elle ne se respecte pas en tant qu'auteur , encore moins en tant que journaleuse !!!
Anne Cabana (Biton)avait déjà écrit un livre sur l'ex épouse de Monsieur Sarkozy (Cécilia) , un style sans poésie, une narration descriptive, en surface, un reportage style télégraphique, bref rien de comparable avec un auteur littéraire et poétique, le genre de livre d'actualité pris sur le vif, vite fait mal fait, pour faire de la vente.
De la psychologie de kiosque de gare, un style boîteux, un ramassis de rumeurs, des citations hors de leur contexte, des insinuations pour dénigrer.
Ce n'est pas se respecter en tant qu'auteur.
et bien , elle ne se respecte pas en tant qu'auteur , encore moins en tant que journaleuse !!!
Re: L'ultime sacrifice du président
Il faut au moins lui reconnaître qu'elle n'hésite pas à faire dans la longueur et que c'est distrayant.
J'avais bien aimé "Sarkozy-Villepin, histoire secrète d'une haine" aussi.
Après, on lui apporte le crédit qu'on veut mais ça se laisse lire dans un train avec un petit café
J'avais bien aimé "Sarkozy-Villepin, histoire secrète d'une haine" aussi.
Après, on lui apporte le crédit qu'on veut mais ça se laisse lire dans un train avec un petit café
Bertolt_Brecht- Président du Conseil Général
- Nombre de messages : 2813
Age : 114
Date d'inscription : 29/06/2009
Re: L'ultime sacrifice du président
C'est peut-être une très mauvaise journaliste il n'empêche que son "papier" précise quelques vérités !
Jeanclaude- Député
- Nombre de messages : 7476
Age : 77
Date d'inscription : 26/09/2008
Re: L'ultime sacrifice du président
Jean-Claude a écrit:C'est peut-être une très mauvaise journaliste il n'empêche que son "papier" précise quelques vérités !
non ,puisqu'elle n'est pas objective , ce ne sont pas des vérités mais " ses vérités arrangées à sa sauce "!
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