L'égalité des sexes c'est pas encore gagné

« ELLE arrivait toujours une heure avant chaque manifestation politique, sourit une ancienne d’Eaubonne. Elle se mettait au premier rang. Même recroquevillée, on la reconnaissait de loin avec son béret noir. » Camille Kichkine, décédée en février 2006 à l’âge de 93 ans, n’a jamais rien fait comme les autres.

Et jusqu’au bout. La vieille dame, au tempérament bien trempé, a légué à la ville d’Eaubonne toute sa fortune personnelle, soit plus de 270 000 €. Un don incroyable que les élus ont évoqué cette semaine lors du dernier conseil municipal.

Qui aurait cru que cette semi-clocharde qui errait dans les rues d’Eaubonne était en réalité riche comme Crésus ? « Elle avait hérité de ses parents, les Brigault, une vieille famille bourgeoise propriétaire d’une scierie et d’un bar, le Petit Mondain, se remémore une de ses voisines. Je me souviens d’elle lors de son mariage en 1937. Elle était ravissante. » Camille n’aura pas le temps d’avoir des enfants. En 1944, son mari, Nicolas, un résistant, est fusillé par les Allemands. « Nous déposons toujours chaque année une gerbe en sa mémoire », précise Jacques Lemariey, du Souvenir français. Camille Kichkine devient enseignante en sténographie et professeur de piano à Paris, près de la gare du Nord. Au milieu des années 1960, elle s’entiche de l’ancien maire André Petit. « Elle disait du bien de moi partout dans la rue, se souvient l’ancien élu. Elle était aussi expansive qu’attachante. Elle assistait à toutes mes réunions. »

Mais le temps passe. Camille devient « une petite femme toute rabougrie » et commence à perdre la tête. « Une nuit, elle errait dans les rues d’Eaubonne, soupire André Petit. Je me suis occupé d’elle. » « Elle ne voulait plus vivre dans son appartement du square du Berry, rapporte son tuteur. Le jour où nous avons dû vider son appartement, c’était hallucinant. Il n’y avait pas de lit, mais des journaux, des photos de Maria Callas et des cafards un peu partout. » Encore une fois, c’est la municipalité qui la prend en charge et l’envoie dans une des maisons de retraite de l’hôpital d’Eaubonne. « Elle ne pouvait plus trop bouger, glisse une des personnes qui se sont occupées d’elle. Mais elle était toujours très gaie. Pour l’apaiser, on chantait. Son frère était trompettiste. »

« Elle voulait tout me donner mais j’ai refusé »

Vers la fin de ses jours, Camille décide de léguer toute sa fortune à la ville « pour l’aide morale et le soutien des maires, de M. Beasley (NDLR : ancien président du comité de libération d’Eaubonne, faisant fonction de maire) jusqu’à M. Petit ». « Elle voulait tout me donner, se souvient ce dernier. Mais j’ai refusé. Alors, je lui ai conseillé de donner à la ville. » Amoureuse, Camille Kichkine ? « Je ne sais pas », sourit André Petit. Jusqu’au bout, elle restera fidèle à son mari et se fera même enterrer avec les photos de son mariage.