Poutine : l'Ukraine mène un «blocus» contre l'Europe

Malgré tous les efforts qui ont été fournis, la crise (du gaz, ndlr) s'aggrave», a déclaré samedi le premier ministre russe Vladimir Poutine avant une rencontre avec son homologue tchèque Mirek Topolanek, président en exercice de l'UE.

«Ce sont les dirigeants ukrainiens qui l'aggravent», a-t-il à nouveau martelé. Poutine, qui était accompagné de hauts responsables du gouvernement russe et du patron du géant gazier Gazprom Alexeï Miller, a accusé l'Ukraine de se livrer à un «blocus gazier» de l'Europe.

«Quoiqu'il en soit, nous allons essayer» de résoudre le conflit, a-t-il dit. «Nous espérons que vous pourrez convaincre nos partenaires ukrainiens de la nécessité de signer le document», a-t-il ajouté en référence au protocole qui doit établir les conditions du déploiement des observateurs chargés de surveiller le transit du gaz par l'Ukraine, et qui semble le principal point d'achoppement des négociations depuis vendredi.

«J'ai envoyé un signal aux dirigeants ukrainiens que je resterai dans la région jusqu'à ce que le gaz passe de nouveau», a de son côté déclaré M. Topolanek, qui a reconnu que les relations tendues régnant entre le président ukrainien Viktor Iouchtchenko et son Premier ministre Ioulia Timochenko étaient un élément de la crise, mais a affirmé avoir réglé ce problème. «Nous avons réussi à passer outre la division entre le président ukrainien et le Premier ministre», a-t-il dit.

Le manque de gaz naturel frappe durement l'Europe, en particulier à l'Est. Ainsi, le gouvernement croate a tout simplement coupé l'approvisionnement aux plus gros consommateurs industriels. La Bulgarie et la Moldavie, qui comptent parmi les pays les plus touchés, devraient pouvoir compter sur Kiev : l'Ukraine va puiser dans ses propres réserves pour alimenter les deux pays à partir du 10 janvier.

Enfin, l'Algérie, gros pays producteur de gaz naturel, s'est dite prête à augmenter ses livraisons de gaz à ses clients en Europe, si les contrats le permettent. Alger estime que la crise gazière entre la Russie et l'Ukraine était «commerciale et non politique». Alger mène des négociations avec Madrid sur le prix du gaz, mais cette discussion ne sera jamais «une raison pour l'Algérie de couper ses livraisons de gaz à l'Espagne», a-t-il dit.

L'Algérie fournit actuellement à l'Union européenne environ 12% de ses besoins en gaz naturel grâce à deux gazoducs avec l'Italie et l'Espagne, et par des fournitures de plus en plus importantes de gaz naturel liquéfié (GNL). Quant à la France, elle dispose d'un atout pour faire face à la crise: son approvisionnement diversifié.

GDF Suez disposede la seconde capacité de stockage en Europe.

Depuis quelques jours, l'interruption de gaz russe transitant par l'Ukraine prive GDF Suez, qui couvre la quasi-totalité du marché gazier en France, de 15% de ses approvisionnements en Europe. Au moment où la vague de froid dope la consommation française de gaz naturel comme jamais. Ainsi, a u début de la semaine, la consommation était en hausse de 40% par rapport à la même période de l'an­née dernière.

Pour affronter cette situation, GDF avance deux atouts importants, d'une part «le portefeuille d'approvisionnement le plus diversifié en Europe» avec pas moins de neuf fournisseurs importants dont aucun ne dépasse 15%, parmi lesquels la Russie, la Norvège, les Pays-Bas, l'Algérie ou encore l'Égypte, et d'autre part «la seconde capacité de stockage en Europe». Sur ce dernier point, même si le groupe se refuse à communiquer officiellement, les stocks actuels permettent d'assurer 80 jours environ de consommation.

En revanche, GDF Suez prend bien soin de préciser qu'aucun de ses clients, domestique ou professionnel, n'enregistre une baisse de livraison. «L'ensemble de nos installations techniques (canalisations, stations de compressions, sites de stockage…) est utilisé à pleine capacité afin d'assurer la continuité de la fourniture de gaz naturel.»

Sans oublier les terminaux méthaniers, qui permettent d'ac­cueillir les cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL). Précisément, GDF Suez vient d'affréter un bateau supplémentaire, un outil de plus face à une conjoncture exceptionnelle.

Comme cela a été annoncé lundi soir, le géant russe Gazprom a ordonné, mardi matin, la reprise des livraisons de gaz vers l'Europe via l'Ukraine AFP PHOTO/ SERGEI SUPINSKY

Comme cela a été annoncé lundi soir , Gazprom a ordonné mardi matin la reprise des livraisons vers l'Europe via l'Ukraine. À 9 heures, heure française, soit une heure après la réouverture des vannes, le géant russe précise que le précieux produit a même déjà "atteint l'Ukraine". Une information démentie par la Commission européenne, qui indique constater que "très peu ou pas du tout de gaz transite actuellement". Elle dénonce par ailleurs le fait que les experts européens chargés de vérifier le transit n'ont pu avoir pleinement accès aux stations qu'ils sont censés contrôler en Ukraine et en Russie.

Kiev admet bloquer le transit vers l'ouest. "Le gaz russe destiné à l'Europe ne passe pas par le système ukrainien de gazoducs à cause de conditions de transit inacceptables imposées par Gazprom", a déclaré Valentin Zemlianski, porte-parole de la société publique ukrainienne des hydrocarbures Naftogaz, sans plus de précisions. "L'Ukraine a bloqué toutes nos actions en vue du transit du gaz vers l'Europe, a donné comme version, de son côté, Alexandre Medvedev, numéro deux de Gazprom. Dans ces conditions, nous n'avons pas la possibilité physique d'assurer le transit de gaz à travers le territoire de l'Ukraine."

Le contentieux n'est toujours pas réglé

Alexeï Miller, pdg de la société gazière, a indiqué dès lundi soir que Gazprom allait tester le système de transit gazier via l'Ukraine à partir d'aujourd'hui. Gazprom devrait pomper 76,6 millions de m3 par jour, une quantité d'essais encore éloignée des quelque 300 millions de m3 quotidiens que l'Europe recevait via l'Ukraine avant le 1er janvier et le début du conflit gazier russo-ukrainien. Mais Moscou a prévenu les Européens que si Kiev procédait à la moindre ponction sur le gaz destiné à l'Europe, les robinets de transit seraient fermés proportionnellement à la quantité siphonnée.
En effet, le contentieux n'est toujours pas réglé. Moscou et Kiev sont loin d'avoir trouvé un compromis pour le tarif des livraisons de gaz à l'Ukraine pour 2009. Le russe Gazprom réclame à l'ukrainien Naftogaz le remboursement d'une dette de 600 millions de dollars. À compter de l'ouverture des vannes, le gaz pourrait mettre entre un et trois jours pour atteindre l'Europe, qui a été privée de cet hydrocarbure depuis mercredi, alors qu'une vague de froid frappe le continent.

L'ancien Premier ministre ukrainien et chef de file de l'opposition pro-russe Viktor Ianoukovitch exige par ailleurs la démission du gouvernement de Ioulia Timochenko et le lancement d'une procédure de destitution du président Viktor Iouchtchenko, directement responsables, selon lui, de la crise gazière avec la Russie.