Kafka est bien vivant

«Je vois la mer, du haut de ma HLM» raconte André Poirier, qui se targue même d'avoir une «vue sur le très chic Golfe du Lion» à Montpellier. Et pourtant, depuis le 27 octobre 2007, ce sexagénaire vit sans aucune rentrée d'argent. «Je survis en empruntant à des amis, les gens me donnent de la nourriture» explique-t-il. Et d'ajouter, le plus naturellement du monde : «Comme je suis décédé, l'assurance maladie ne me verse plus rien alors que mon traitement contre des problèmes de coagulation et de tension devrait m'être remboursé à 100%».

L'affaire commence en 1986, lorsque cet opticien de précision et ancien légionnaire coupe les ponts avec sa famille en région parisienne, et s'installe à Montpellier. Il y travaille comme surveillant des espaces verts. Employé par la mairie, il ne se cache donc pas, mais ses proches ne parviennent pas à retrouver sa trace. Un administrateur est pourtant nommé en 1987 pour régler des droits de succession. Mais faute de pouvoir joindre André Poirier, qui est sur liste rouge, il laisse passer les années.

Ce n'est qu'en 2003 que sa fille engage de nouvelles recherches et finit par le retrouver en 2004. Problème : ni la fille ni le père ne signale ce changement de situation à l'administrateur. Après 20 ans sans nouvelles, celui-ci déclare donc André Poirier comme mort. Le 27 octobre 2007, une procédure de déclaration d'absence est lancée.


Procès surréaliste

La machine administrative se met alors en branle et lui coupe ses droits de retraite et de couverture sociale. Le début du «cauchemar» pour le retraité désormais sans ressources. Devant le tribunal de Grande Instance de Paris, en décembre dernier, il est allé plaider sa cause et «prouver qu'il était vivant». «Il a fallu ressortir des photos et apporter des témoignages pour prouver que je n'étais pas mort», s'insurge André Poirier, qui a donc demandé «l'annulation du jugement pour déclaration d'absence» lors d'un procès surréaliste.

«Compte-tenu de l'avis favorable du procureur, et du sérieux du dossier, Monsieur Poirier a toutes les chances de redevenir vivant» pronostique son avocat, Me Robert Pignot. «Cela dit, il faudra au moins un mois pour que cela prenne effet, explique-t-il. Une fois l'annulation du jugement pour déclaration d'absence prononcée, il faudra la publier dans des journaux d'annonces légales, puis le procureur devra opérer la transcription des actes d'Etat civil». Et André Poirier de conclure : «Attendre, attendre, je n'en peux plus ! J'ai l'impression de vivre dans une salle d'attente géante !» Le jugement est attendu vendredi 9 janvier.