Seize enquêtes relancées après le meurtre de Valentin

Dans quatre faits sur seize retenus, les enquêteurs estiment que «divers indices laissent penser que Stéphane Moitoiret (ci-dessus) était dans la région au moment où l'agression a été commise». Crédits photo : NO CREDIT
Les gendarmesont transmis au parquet de Bourg-en-Bresse une liste de onze meurtres et cinq agressions pouvant être imputés à Stéphane Moitoiret.

L'enquête sur l'inquiétant itinéraire de Stéphane Moitoiret, meurtrier présumé du petit Valentin à Lagnieu (Ain), vient d'entrer dans une phase nouvelle. Mardi, les gendarmes du Service technique de recherches judiciaires et de documentation ont transmis au procureur de Bourg-en-Bresse leur procès-verbal de synthèse sur ses possibles antécédents criminels.

Résumant un mois d'investigations, ce document dresse une liste de onze meurtres et cinq agressions commis depuis 1995 qu'il convient, selon les enquêteurs, d'examiner avec une «attention particulière». Objectif : étudier, pour chacun de ces dossiers, l'éventuelle implication du couple formé par le routard de 39 ans et sa compagne, Noëlla Hego.

Partis d'une première liste de 1 700 affaires non élucidées établie grâce à leur fichier judiciaire de documentation et d'exploitation, les militaires n'ont guère tardé à resserrer les mailles du filet. «Pour ce faire, nous avons analysé en détail le mode opératoire de Moitoiret, de même que nous avons largement diffusé sa photo et sensibilisé nos 3 600 brigades afin de faire remonter un maximum d'informations», précise le général David Galtier, patron de la police judiciaire au sein de la gendarmerie.

Ce défrichage achevé, les enquêteurs ont établi une short list de seize faits dont quatre, à ce jour, retiennent plus particulièrement leur attention. «Pour chacun d'entre eux, divers indices laissent penser que le suspect était dans la région au moment où l'agression a été commise», confie une source proche du dossier.


Enlèvement d'enfant

Dans l'ordre chronologique, il s'agit d'une tentative d'enlèvement d'enfant perpétrée dans la Vienne en août 2006, du viol d'une femme de 79 ans commis en Champagne en avril 2007, de coups et blessures portés contre un quadragénaire en Côte-d'Or en juillet 2007 et d'un meurtre survenu, début 2008, dans l'Hérault.

Parce qu'il présente, par son mode opératoire, plusieurs similitudes avec le meurtre de Valentin, ce dernier crime intéresse au plus haut point les gendarmes. Dans la nuit du 14 au 15 mars dernier, un homme de 85 ans a été frappé d'environ 80 coups de couteau à son domicile de Sète. Confiée au service régional de police judiciaire de Montpellier, l'enquête a d'abord débouché sur l'interpellation d'un routard de 26 ans qui avait, peu auparavant, été hébergé par l'octogénaire. Depuis, toutefois, les in­vestigations semblent marquer le pas alors qu'un témoignage recueilli par les gendarmes semble établir que Moitoiret se trouvait dans l'Hérault à la même période.

Outre ces quatre dossiers, des rapprochements sont notamment envisagés avec le meurtre du curé de Pont-Sainte-Maxence (Oise), Jean-Claude Guéguen, en juillet 1997, ainsi qu'avec la mise à mort de Marine, une étudiante de 20 ans poignardée à Chazay-d'Azergues en octobre 2005. Explorant un passé plus lointain, les gendarmes planchent aussi sur l'homicide d'un sexagénaire commis dans les Landes en 1995. Pour chacun de ces dossiers, il appartient désormais à la justice d'approfondir, ou non, la piste Moitoiret.

Meurtrier présumé du petit Valentin, 11 ans, tué à Lagnieu (Ain) le 28 juillet, Stéphane Moitoiret pourrait aussi avoir violé, il y a un an et demi, une femme de 77 ans. Les enquêteurs prennent le témoignage de la victime très au sérieux. Au point que l’enquête sur cette agression, commise le 12 avril 2007 à Reims (Marne), classée voici plusieurs mois, vient d’être rouverte.

Institutrice à la retraite, Paule, 79 ans aujourd’hui, a reconnu le visage de son agresseur dans le portrait-robot de Stéphane Moitoiret diffusé quelques jours après le meurtre de Valentin. Elle raconte son calvaire.

Pourquoi désignez-vous Moitoiret comme votre agresseur ?

Paule. Parce que je l’ai reconnu dans le journal. En découvrant son portrait-robot, j’ai tout de suite vu mon agresseur. Ses traits saillants, ses cheveux embroussaillés, ses yeux très bruns et ce regard… C’était lui. J’ai été choquée. Plus tard, je l’ai reconnu sur les photos présentées par la police.

«Tais-toi, je ne te ferai pas de mal si tu ne cries pas »

Que vous a-t-il fait ?

Il m’a violée.

Dans quelles circonstances ?

Je me promenais un après-midi le long du canal, à Reims, en contrebas du chemin de halage. Je l’ai regardé parce qu’il m’a fait une impression bizarre. Il avait une allure très assurée, comme s’il dominait le monde et j’ai pensé qu’il avait l’air d’un assassin. Mais je n’ai pas eu peur. Il était 17 heures et l’endroit n’était pas désert. Entre les pêcheurs, les promeneurs et quelques cyclistes, je ne me sentais pas seule. Puis, alors que je retournais tranquillement vers ma voiture, j’ai été happée par les épaules. L’homme était derrière moi.
Il m’a retournée et m’a mis la main sur la bouche en disant « Tais-toi ».

Que s’est-il passé ensuite ?

Je me suis tétanisée. Il m’a jetée par terre. J’ai appelé au secours mais il a levé la main sur moi et répété « Tais-toi, je ne te ferai pas de mal si tu ne cries pas ». Je me suis vue mourir là. J’ai compris que je ne devais rien dire si je voulais m’en sortir. Il m’a violée. C’était horrible. Quand il s’est relevé, j’ai vu qu’il cogitait et j’ai encore eu peur qu’il me tue. Après l’agression, je n’avais plus ma veste sur moi. Il l’a ramassée et me l’a tendue en me disant : « T’es gentille, toi. » Sans chercher à voler mes bijoux ou mes clefs de voiture qui étaient dans ma veste. Et il est parti en courant en disant qu’il allait « chez le curé ».

« Son visage, avec ce regard noir halluciné, me revient sans cesse »

Avez-vous déposé plainte ?

Pas tout de suite. J’étais complètement sonnée. Je suis rentrée chez moi comme j’ai pu et me suis promis de ne jamais le dire à personne. Ensuite, quand j’ai pu réfléchir un peu, la crainte qu’il s’en prenne à une petite fille m’a décidée à appeler le commissariat. Deux policières sont venues, on m’a envoyée aux urgences médico-légales. Le lendemain, le commissariat a pris ma déposition et j’ai fait un portrait-robot. Faute de preuves, l’enquête a été classée un an plus tard, c’est-à-dire au printemps dernier. Comment allez-vous aujourd’hui ?
Je vis avec la peur. Son visage avec ce regard noir halluciné me revient sans cesse. Quand je suis seule, je vérifie trente-six fois que les portes sont fermées et ne vais me promener qu’accompagnée. Parfois, je souffre de spasmes. C’est l’angoisse, la frayeur qui se manifestent. Ce viol a changé ma vie. C’est épouvantable de subir ça à mon âge.

Pourquoi l’enquête a-t-elle été rouverte ?

Quand je l’ai reconnu sur le portrait-robot, j’ai appelé le commissariat. Deux policiers sont venus et m’ont présenté des photos. Je l’ai désigné aussitôt.