Le million perdu du JT de Laurence Ferrari

En quatre éditions, le JT de Laurence Ferrari a perdu un million de téléspectateurs pour se stabiliser, hier, à 7,4 millions de fidèles. Une chute de 15 % par rapport à lundi. L'effet de curiosité semble passé. Un premier travail souterrain s'opère dans la structure du public : les plus de 50 ans qui pesaient 54 à 55 % de l'audience sous l'ère Poivre sont tombés à 51 % en quatre jours. Laurence Ferrari semble rajeunir le public, ce qui est l'un des objectifs de la chaîne. La courbe de l'audience du JT de TF1 marque une décrue à partir de 20 h 20 quand démarre sur la Trois le feuilleton Plus Belle la vie . Ce phénomène est nettement moins marqué chez son concurrent, David Pujadas, dont la courbe est plus stable. Toutefois, le JT de France 2 (4 millions d'individus) est loin derrière celui de la Une.

Pas de conclusions hâtives : il faudra attendre une quinzaine de jours, suivre le retour de Denisot sur Canal+ et le lancement de Courbet sur France 2, laisser passer la rentrée scolaire afin que chacun reprenne ses habitudes pour vérifier si le public de la Une goûte le changement de tête qui lui a été proposé. Toujours est-il que l'an passé, à la même époque, PPDA avait, au contraire, gonflé sa pelote : en trois jours, l'audience de son JT de rentrée était passée de 8,4 à 9 millions de téléspectateurs. Poivre doit bicher.

En retard sur l'info

Le deuxième constat est éditorial, et il n'est guère meilleur.
À plusieurs reprises, le JT de TF1 a délivré des informations que France 2 avait déjà diffusées la veille.
Problème de réactivité dont la Une n'est pas coutumière. Comment expliquer ce retard ? Pourquoi l'hospitalisation du dalaï-lama, mentionnée par David Pujadas dès le mercredi, n'était-elle dans le JT de Ferrari que le lendemain ? Idem concernant le RSA : les reporters de France 2 avaient, dès le mercredi, couvert la polémique née au sein de la droite sur la taxation des revenus du capital. Ils avaient eu le temps de donner la parole au sénateur UMP Alain Lambert (ancien ministre du Budget) et au député UMP Hervé Mariton. Or, on retrouve le même "casting d'opposants" le lendemain dans le reportage de la Une, de même que l'expression contrepied , lancée la veille par Pujadas. Comme si le JT de TF1 avait été gagné par une certaine paresse... En tout cas, pour tomber à nouveau sur Lambert et Mariton, les reporters de TF1 ne se sont pas foulés. Ils sont allés au plus simple : on prend les mêmes et on recommence. Un procédé trop souvent vu à la télé...
Dans l'édition d'hier, France 2 est allée recueillir les explications de l'armée quant aux circonstances dans lesquelles nos soldats sont morts en Afghanistan. L'armée se défend d'avoir commis une erreur de commandement et parle d' opération réussie . Polémique intéressante d'un point de vue citoyen. Pas un mot dans le JT de Laurence Ferrari, qui a préféré s'appesantir sur... le poids du cartable chez les écoliers allemands. Hier, Laurence Ferrari n'a pas reçu d'invité. David Pujadas recevait, quant à lui, Martine Aubry à l'occasion de la publication d'un livre. Plus de 7 minutes consacrées à la leader socialiste. C'est la plus longue interview de la semaine. On notera également ce sujet très "politiquement correct" sur la rentrée télévisée de France Télévisions. De l'autopromotion en plein journal... Qu'en pense le CSA ?

Des enquêtes très ordinaires

Quant aux "innovations" de la formule du JT de TF1, Laurence Ferrari nous avait promis que, chaque soir, la rédaction de TF1 proposerait une "enquête". Si ce mot a encore un sens à la télévision, il s'agit d'un reportage, si possible original, généralement plus long que les autres, qui a exigé des recherches plus fouillées (donc du temps) et dont l'écriture audiovisuelle est ciselée.
Nous en sommes à la quatrième et, disons sans détour, le mot enquête apparaît usurpé. Jugez plutôt : le premier soir, on nous a parlé du sort des infirmières bulgares. Soit. Sur les neuf ex-captives de Kadhafi, seules deux ont été réellement interrogées. Un peu léger...
Le deuxième jour, l'enquête a consisté à suivre des inspecteurs de l'Urssaf lancés à la recherche des travailleurs clandestins. Bon reportage "embedded" mais, somme toute, très ordinaire.
Le troisième jour, "l'enquête" se transporte aux États-Unis où l'on nous montre des familles jetées à la rue par la crise. Poignant, mais, là encore, rien de "bouleversifiant".
Enfin hier, l'enquête tenait du "Guiness des records" : TF1 a trouvé urgent de s'intéresser à la grande taille des Néerlandais qui dominent de la tête et des épaules la toise européenne. La Une nous apprenait, en substance, que les Bataves deviennent de grandes gigues en buvant du lait et parce que leurs mères s'occupent bien d'eux quand ils sont petits... Enquête, vous avez dit enquête ?

Trève d'ironie. La rédaction de TF1 (qui fusionne avec celle de LCI et a changé de direction) n'est pas encore organisée pour produire tous les jours une enquête digne de ce nom. Ce constat n'est guère surprenant. Elle a besoin de temps pour trouver ses marques. Fallait-il, dans ces conditions, claironner qu'une enquête serait servie tous les soirs ? Le reboutiquage cosmétique du journal télévisé apparaît dès lors pour ce qu'il est : un plan de com' dans la rentrée télé. Tout le travail reste à faire.