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Message  livaste Mar 20 Juil - 20:50


Politique
Ces villes que le Front National a gérées ...
Par Juliette Cua, publié le 12/06/2009 17:00 - mis à jour le 16/06/2009 14:52



Dreux (Eure-et Loire), 32 000 habitants
En septembre 1983, le Front National remporte sa première victoire électoral à Dreux dans une élection municipale partielle. La liste FN menée par Jean-Pierre Stirbois dépasse 16% des suffrages au 1er tour du scrutin. Entre les deux tours, la liste FN fusionne avec la liste RPR, menée par Jean Hieaux, qui deviendra maire. La droite locale voit le FN comme une force d'appoint permettant à la droite de l'emporter sur la gauche, à la mairie depuis 1977.
En 1988, Jean-Pierre Stirbois décède accidentellement. Le Front national refait liste à part dès 1989 mais n'obtiendra jamais plus le même score qu'en 1983. L'histoire du FN à Dreux se poursuit avec Marie-France Stirbois, élue députée en 1989 lors d'une partielle, puis conseiller général en 1992, puis député européen et conseiller régional avant de quitter définitivement la ville après les régionales de 1998.

Orange (Vaucluse), 30 000 habitants
En 1995, Jacques Bompard, Front National, ravit la mairie au PS à la faveur d'une triangulaire. Il est réélu au premier tour, en 2001, face à une gauche divisée. En juillet 2002, premier bilan dans L'EXPRESS: Romain Rosso décrit "le sytème de Jacques Bompard". En février 2008, la pression s'accentue sur Jacques Bompard: l'UMP et le PS envisagent de s'allier pour lui faire barrage. Mais en mars 2008, Jacques Bompard, désormais affilié au MPF de Philippe de Villiers, est réélu, pour la troisième fois sans que ses adversaires aient même entamé des négociations pour contrer cette réélection.

Marignane (Bouches-du-Rhône), 33 000 habitants.
Daniel Simonpieri est élu en 1995 à la mairie de Marignane sous l'étiquette FN. Il est réélu en 2001, avec le soutien du MNR de Bruno Mégret. En 2002, il appelle à voter Le Pen. Pour les municipales de 2008, Simonpieri est soutenu par l'UMP, qui le préfère au divers droite Eric Le Dissès. C'est Le Dissès qui remporte la mairie et met fin aux deux mandats successifs de l'extrême-droite.
Le bilan de 13 ans de municipalité de Daniel Simonpieri est sans appel: promesses non tenues (hausse des impôts, projet d'un complexe de loisirs remplacé par l'installation d'un supermarché, travaux de réhabilitation du centre ancien reportés), divorce avec la communauté des pieds noirs, endettement important.

Toulon (Var), 168 000 habitants.
Jean-Marie Le Chevallier est élu maire de Toulon de 1995 à 2001. Élu sous l'étiquette Front national, son mandat est caractérisé par plusieurs scissions au sein de sa propre majorité. Le bilan des 6 années de municipalité d'extrême-droite est lourd: croisade "contre une culture élitiste" et pour une culture provençale (l'affaire Chateauvallon et celle de la Fête du Livre), détournements des fonds du service jeunesse, discrimination à l'embauche, propos diffamatoires, affaires politico-judiciaires et surtout endettement très important de la ville de Toulon.
Hubert Falco, alors Démocratie Libérale et désormais UMP, succède à Jean-Marie Le Chevallier à partir de 2001.

Vitrolles (Bouches-du-Rhônes), 37 000 habitants
Vitrolles est la ville emblème du Front National puis du MNR de Bruno Mégret. Ce dernier échoue aux municipales de 1995 mais l'élection est invalidée et c'est sa femme, Catherine Mégret qui est élue maire de Vitrolles en 1997.
L'équipe municipale de Catherine Mégret a laissé un bilan bien maigre: lutte contre "l'insécurité", et mise au pas des associations locales (affaire du Sous-marin, Les incompris de Vitrolles).
C'est l'absence d'alternative à gauche ou à droite qui laisse la place à la réélection de Catherine Mégret en 2001. L'élection est annulée par le Conseil d'Etat et le candidat divers gauche Guy Obino est élu en 2002. Il a été réélu en 2008.

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Message  livaste Mar 20 Juil - 20:56

Le Front des affaires
Par Rosso Romain, publié le 15/01/1998



Prompts à délivrer des leçons de morale, les élus lepénistes ne donnent pas l'exemple. Péripéties politico-judiciaires à Vitrolles, à Toulon et à Orange.
Rien ne va plus dans les villes dirigées par le Front national. Sur les tribunes, le parti d'extrême droite assène des discours moralisateurs contre les hommes politiques, surtout lorsqu'ils sont soupçonnés de malversations, de corruption ou d'infractions diverses. Mais voilà: à Vitrolles, à Toulon et à Orange, plusieurs affaires récentes impliquent des élus frontistes ou leurs collaborateurs. Même si certaines paraissent mineures - ce sera à la justice de le dire - ces péripéties mettent à mal le fonds de commerce du FN.
A quelques mois des prochaines élections régionales, ces événements ne sont pas pour arranger les leaders du Front national candidats dans leur département du sud-est de la France. A commencer par Jean-Marie Le Pen, chef de file à Nice (Alpes-Maritimes), qui brigue la présidence de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Lui-même vient d'être mis en examen par le juge Jean-Paul Valat pour «contestation de crimes contre l'humanité», après ses propos tenus en Allemagne sur les chambres à gaz, «détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale». Il n'est pas le seul au Front à avoir des ennuis avec la justice. La moralité pure et parfaite est un argument caduc pour les prochaines campagnes du FN.

Vitrolles: les gros bras de Mégret
A Vitrolles (Bouches-du-Rhône), trois membres de la municipalité FN dirigée - officiellement - par Catherine Mégret ont été mis en examen, le 12 décembre 1997, pour «complicité de violences en réunion avec arme et préméditation» et «complicité de destruction et de dégradation de biens appartenant à autrui». Les faits remontent au mois de novembre 1997, lors de la grève des routiers. Dans la nuit du 4 au 5, vers 3 h 30, un commando d'une dizaine d'hommes vêtus de noir, cagoulés et armés de battes de base-ball attaquent le piquet de routiers grévistes du carrefour de l'Anjoly. Le matraquage fait trois blessés et des dégâts matériels. L'opération vise à couvrir la sortie de plusieurs camions de la société Transports frigorifiques européens (TFE), obligés d'emprunter à contresens une bretelle d'autoroute pour rejoindre la RN 113. L'affaire fait grand bruit, mais personne ne soupçonne, alors, la municipalité de Vitrolles. Un mois plus tard, la brigade criminelle du SRPJ de Marseille place pourtant en garde à vue trois proches de Bruno Mégret: Gilles Lacroix, adjoint au maire chargé des actions de proximité et de la vie associative; Patrick Bunel, chargé de mission à la sécurité; et Yvain Pottiez, employé des services sociaux. Tous nient avoir participé au commando.
En revanche, ils ont assisté, dans la journée du 4 novembre, à plusieurs réunions avec les responsables de TFE. Selon la mairie, qui hurle à la «machination politico-policière», ils n'auraient «[obéi] qu'à leur devoir», en tentant de dissuader les patrons de TFE d'exécuter leur coup de force. Les enquêteurs, eux, pensent, au contraire, qu'ils préparaient les détails de l'opération commando. Lacroix dément en bloc. Dans un premier temps, il a même nié connaître les responsables de TFE. Mais Bunel, lui, a reconnu devant les policiers s'être rendu, accompagné de Pottiez et... de Lacroix, dans les locaux de l'entreprise. Quant à Pottiez, il se souvient vaguement d'avoir «véhiculé Bunel, de nuit, dans la zone industrielle pendant la grève». Gilles Lacroix a été formellement identifié par au moins cinq témoins: non seulement ils ont confirmé sa présence à la réunion de TFE, mais ils l'ont également accusé d'être l' «organisateur» de la sortie des camions et de leur protection.
Une condamnation aurait sans nul doute des conséquences politiques dommageables pour Bruno Mégret. En tout cas, le n° 2 du FN, «maire consort» de Vitrolles, tête de liste aux régionales dans les Bouches-du-Rhône, est ici puni pour s'être entouré de gros bras proches du GUD (Groupe union droit), un groupuscule d'extrême droite qui connut ses heures de gloire à la faculté d'Assas, à Paris. Ancien garde du corps et chauffeur de Mégret, Patrick Bunel supervise la police municipale de Vitrolles depuis la victoire des Mégret, en février 1997. A 29 ans, l'homme dit être un ancien militaire, «sous-officier BMP 1, directeur de mise en oeuvre d'explosifs, détection et traitement de charges ou colis piégés, tireur d'élite, chef de groupe commando». Sous l'égide de Bunel, on a vu ainsi quelques membres du GUD assurer la protection de Bruno Mégret pendant la campagne des élections législatives anticipées de 1997. Yvain Pottiez est de ceux-là. Le jeune homme s'est signalé, ces dernières années, pour avoir agressé deux journalistes.

Toulon: emplois à vendre
A Toulon (Var), c'est une histoire de pots-de-vin qui embarrasse la municipalité dirigée par Jean-Marie Le Chevallier. Son propre chef de cabinet, Philippe de Beauregard, par ailleurs conseiller municipal FN de Hyères, a en effet été mis en examen, mardi 6 janvier, pour «recel de preuve». La justice lui reproche d'avoir, par son absence de réaction, en quelque sorte «couvert» un cas de corruption dans lequel une employée municipale, Dominique Notto, est compromise.
Responsable des femmes de ménage à la municipalité, elle est accusée d'avoir monnayé, en juin 1997 - 30 000 francs en petites coupures - l'attribution de deux postes administratifs. Mais, les emplois promis pour le mois d'août ne venant pas, le demandeur, Cédric Quéré, a décidé d'enregistrer ses conversations téléphoniques avec Notto, qui affirme attendre le retour de vacances d' «un élu». Muni d'une copie de la cassette, Quéré se rend ensuite au bureau de Beauregard, qui le reçoit aussitôt et garde l'enregistrement. Quelques semaines plus tard, Quéré récupère son argent. Mystère.
On fait grief à Beauregard d'avoir conservé la cassette sans alerter la justice ni engager une procédure disciplinaire à l'encontre de l'employée fautive. «Je conteste formellement avoir eu l'intention de cacher quoi que ce soit à la justice!» clame Beauregard, considérant que la cassette était d'une «qualité d'écoute déplorable», et Quéré, un personnage «étrange et peu crédible». Interrogé par L'Express, le chef de cabinet ajoute, au demeurant, qu'il reçoit régulièrement des «tonnes de dénonciations» de ce type, dont la plupart sont «loufoques». Des propos légèrement en contradiction avec ceux de Le Chevallier. «Il a pensé qu'il existait certainement d'autres cas, que d'autres fonctionnaires devaient être au courant et que la dame bénéficiait de complicités. Il pensait traiter l'affaire à l'intérieur de la mairie dans un premier temps», affirme en effet le maire de Toulon, dans une interview à Var-Matin. Pourtant, il lui a fallu attendre la révélation de ces pratiques pour diligenter une enquête administrative.
C'est d'autant plus confus que cette affaire, même si l'enquête s'oriente vers une défaillance individuelle de Dominique Notto plutôt que vers un système communal organisé, accentue les rivalités au sein de la majorité municipale entre Eliane Guillet de la Brosse - qui fut troisième adjointe avant que le maire de Toulon la prive, en septembre 1997, de sa délégation aux affaires sociales - d'une part, et Jean-Marie Le Chevallier et son épouse, Cendrine, de l'autre.

Orange: un secrétaire général encombrant
A Orange, c'est une vieille histoire qui risque de mettre en difficulté l'entourage du maire, Jacques Bompard, chef de file du FN aux régionales dans le Vaucluse. L'édile doit déjà ferrailler pour maintenir la cohésion de sa majorité municipale après la démission d'une adjointe, Nicole Francoeur, qui a rejoint l'opposition. Celle-ci fait aujourd'hui la guerre au «bompardisme». Le maire est, en outre, empêtré dans une polémique sur l'entretien par la commune de chemins privés, où résident des proches. De quoi nourrir un classique Clochemerle, si n'était le cas, plus embarrassant, du secrétaire général de mairie, François-Nicolas Schmitt.
F-N Schmitt, comme on le surnomme, a en effet été mis en examen, en janvier 1997, par un juge de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), dans le cadre de ses fonctions de directeur de l'office d'HLM de cette ville, entre 1989 et 1992, pour «prise illégale d'intérêts dans des opérations, infraction aux règles de gestion des organismes HLM, infraction au code de la construction». Un accablant rapport de la chambre régionale des comptes sur la gestion de l'office (primes indues au directeur, irrégularités dans les procédures des marchés publics «qui ont conduit à des surcoûts», etc.) - qui accuse un trou de 40 millions de francs sur ses fonds propres pendant cette période - avait entraîné, en1993, le dépôt d'une plainte, réactivée par l'office public d'HLM de Thonon en 1996. -Certes, ces faits sont antérieurs à la prise de fonction de Schmitt à la mairie d'Orange. Problème: avant de l'embaucher, Jacques Bompard était «parfaitement informé de la situation administrative de cet agent», comme il l'a reconnu dans un courrier adressé à un précédent employeur de Schmitt. Si l'instruction confirme les charges retenues contre lui, le Front national pourra, cette fois, difficilement crier au complot.
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Message  livaste Mar 20 Juil - 21:10

Les bibliothèques publiques françaises face à l'extrême droite

« La bibliothèque est un lieu propice à l’exercice public de la raison. »
Gabriel Naudé, 1644

« La bibliothèque est le lieu privilégié où peut s’exercer une influence idéologique en profondeur : ne sous-estimons pas cet outil de reconquête des esprits ! »
Éric Stetten, directeur de la BM d’Orange nommé par le Front national, 1997

En France et ailleurs, l’alerte fut chaude au printemps 2002, quand on apprit que le candidat du Front national, Jean-Marie Le Pen, serait présent au second tour de l’élection présidentielle. Pour finir, Le Pen fut battu après avoir recueilli 17,79 % des suffrages, tandis que, dans un formidable regain de mobilisation, le pays essayait de comprendre comment il en était arrivé là. Pour beaucoup, le Front national représente en effet un mouvement nationaliste et raciste qui remet en cause la tradition démocratique de la France 1. Son succès électoral est apparu à de nombreux bibliothécaires comme un glaçant rappel de la menace que le fanatisme politique peut faire peser sur les bibliothèques.

Au milieu des années 1990, des membres du Front national avaient été élus à la tête de quatre villes du sud de la France, et très vite ils s’étaient intéressés au fonctionnement des institutions culturelles. Dans un article de Catherine Bédarida paru dans Le Monde du 18 octobre 1997, l’un d’eux, Jacques Bompard, affirmait en substance : « Il est temps de donner un bon coup de balai aussi bien dans les bibliothèques que dans les différents rouages du pouvoir ». De fait, il devint vite évident que le Front national entendait utiliser les bibliothèques pour étouffer les voix de ses opposants et diffuser son propre message politique et culturel. Largement dénoncée par la presse, cette situation fut portée à la connaissance de l’opinion publique internationale, tandis que les bibliothèques elles-mêmes devenaient le terrain symbolique où s’engageait la défense des principes démocratiques. En défendant le libre accès à l’information, les bibliothécaires se retrouvèrent toutefois aux prises avec le dilemme que posent le traitement à accorder aux écrits extrémistes, d’une part, et le développement de collections pluralistes d’autre part.
Cet article revient rapidement sur l’idéologie du Front national, avant de s’arrêter plus longuement sur les incidents survenus en France dans la seconde moitié des années 1990 et la réflexion qu’ils ont entraînée autour de la mission de la bibliothèque publique et du rôle des bibliothécaires. Les discussions et les débats qui ont secoué la profession se sont traduits par des propositions pratiques et déontologiques destinées à combattre l’ingérence politique ; ils ont également soulevé des questions philosophiques importantes touchant à la mission de la bibliothèque publique, au pluralisme des fonds documentaires et à ce qu’il implique, au rôle, enfin, imparti au bibliothécaire. Les élections présidentielles de 2002 eurent pour effet de remobiliser les bibliothécaires déjà sensibilisés à la menace incarnée par le Front national, et de les pousser à réaffirmer leur volonté de sauvegarder cet outil que représente la bibliothèque pour l’exercice de la démocratie.

La montée du Front national

Fondé en 1972 par des tenants d’une droite en rupture de ban réunis derrière un ancien de la guerre d’Algérie, Jean-Marie Le Pen, le Front national cultive une vision nostalgique du passé national, à l’appui de ses analyses alarmistes de la situation actuelle et de son programme politique extrémiste. Les textes de ses militants décrivent un pays où les petits commerçants, les paysans et les familles catholiques de « la vraie France » sont en passe d’être annihilés par les forces alliées de la modernisation et des influences étrangères.
Cette littérature de propagande dénonce d’abondance les manigances des juifs et traite avec une égale suspicion les homosexuels, les artistes et les intellectuels (bibliothécaires compris). La principale cible reste toutefois la communauté immigrée, dont les membres – les Maghrébins et les Africains surtout – sont accusés d’être responsables de la montée de l’insécurité et du chômage, en même temps que le pluralisme culturel est dénoncé comme une atteinte à l’identité nationale.
Dans cette optique, le seul remède à la dégradation perçue comme telle de la qualité de vie en France réside dans une politique offensive visant à restaurer les valeurs et la culture spécifiquement nationales et à débarrasser le pays des influences extérieures . Les militants du Front national mettent en garde contre « l’extinction biologique » et le « génocide culturel » qui, à les en croire, menacent la France, et ils estiment qu’il faut sévèrement limiter les droits reconnus aux immigrés, voire envisager leur déportation . Profondément conservateur, leur programme culturel vilipende le modernisme et le multiculturalisme. Usant d’une rhétorique qui emprunte au racisme, à la violence et au nationalisme, les leaders du Front national prônent le retour à un passé national idéalisé et se montrent rien moins que tolérants vis-à-vis de la pensée et du processus démocratiques 2.
La consolidation du vote Front national a connu une progression inégale mais évidente, en dépit des luttes qui ont déchiré le parti et des annonces prématurées de sa disparition. En 1995, année où Le Pen recueillait 15 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle, des maires Front national furent élus dans les villes d’Orange, de Vitrolles, de Marignane et de Toulon. À la fin des années 1990, le FN semblait toutefois en perte de vitesse, à cause des divisions intestines, des scandales et des actions en justice qui mettaient le parti d’extrême droite au bord de la dissolution. Le Pen avait été condamné pour avoir agressé une candidate socialiste lors de la campagne des législatives de 1997, et la sécession de groupes extrémistes rivaux au sein même du FN avait conduit à la formation d’un parti concurrent, le Mouvement national républicain.
Malgré tout, en 2002, le FN pouvait espérer bénéficier du désenchantement provoqué par l’éclatement politique de la gauche et d’une consultation électorale caractérisée par une pléthore de candidatures, sachant qu’au deuxième tour les électeurs doivent départager les deux personnalités les mieux placées. À la grande stupéfaction de la France et du monde, Jean-Marie Le Pen était l’un de ces deux finalistes 3. Les bibliothécaires, parmi d’autres, avaient de sérieuses raisons de s’inquiéter.

« L’affaire d’Orange »

Les élections présidentielles de 2002 ne pouvaient que leur rappeler les graves désaccords qui les avaient opposés au Front national dans la seconde moitié des années 1990, auxquels la presse, tant nationale qu’internationale, avait donné un large écho. En juin 1995, le candidat du FN, Jacques Bompard, était arrivé en tête aux élections municipales dans la ville d’Orange (28 000 habitants). Peu après son entrée en fonctions, il avait chargé un de ses adjoints à la culture d’inspecter les collections de la bibliothèque municipale afin d’en déterminer les orientations politiques et sociales.
Dans un article paru dans Libération en date du 8 novembre 1996, Monique Glasberg rapporte que le maire s’est indigné de l’« ostracisme » systématiquement pratiqué selon lui à l’encontre « des livres d’extrême droite » . Bien décidé à prendre les choses en main, Bompard avait décrété que, désormais, le conseil municipal superviserait le choix des titres achetés par la bibliothèque.
Désemparés par cette décision peu orthodoxe (mais pas illégale), des bibliothécaires et des habitants d’Orange avaient alors requis l’intervention du ministère de la Culture, responsable de la supervision technique des bibliothèques publiques. L’enquête diligentée par le ministère fut confiée à Denis Pallier, alors doyen de l’Inspection générale des bibliothèques. Selon le rapport qu’il remit par la suite au ministre, les collections de la BM d’Orange avaient été « enrichies » de nombreux ouvrages publiés à compte d’auteur par des sympathisants du FN, tel Max Rodolphe François, ce contre l’avis de la directrice de la bibliothèque qui les jugeait partisans et d’une piètre qualité littéraire.
Le rapport décrit également la révision sans nuances des listes soumises par le service des acquisitions, le bureau du maire n’hésitant pas à éliminer des titres en se fondant sur des critères conformes au programme politique du FN. Les annotations portées dans les marges précisaient les raisons du rejet : multiculturalisme (pour un recueil de contes et légendes du monde entier, par exemple) ; atteinte aux « bonnes mœurs » (pour un roman où il était question d’homosexualité) ; ouvrages signés d’auteurs connus pour leurs positions critiques à l’égard du FN (l’historien Jean Lacouture), et autres motifs.
À l’avenir, les acquisitions devaient être confiées à un comité de sélection nommé par le maire. Le rapport Pallier confirmait donc les allégations selon lesquelles le conseil municipal, non content d’usurper le rôle dévolu au bibliothécaire dans le développement des collections, limitait dangereusement, pour des motifs strictement politiques, la capacité de la bibliothèque à assurer le pluralisme de ses collections .
Orange n’était d’ailleurs pas un cas isolé. D’autres villes aussi commençaient à faire parler d’elles à cause de l’ingérence politique de leurs édiles dans les bibliothèques publiques. Adoptant peu ou prou les mêmes mesures que son homologue d’Orange, le maire de Vitrolles avait constitué un comité de lecture chargé de choisir les documents de la bibliothèque, ce qui revenait à court-circuiter les bibliothécaires (Lybrecht, 1999). Dans Le Monde du 20 septembre 1996, Jacques Follorou cite ces propos de Robert Egea, adjoint municipal de Marignane : « On nous a toujours regardés comme des pestiférés. Il est temps que nous ayons le droit à la parole. »
Au nom de ce droit à la parole, le conseil municipal de Marignane avait entrepris d’examiner à la loupe les collections de la bibliothèque et de procéder à leur « rééquilibrage ». Comme à Orange, cette intrusion injustifiée du pouvoir politique déclencha une enquête de l’Inspection générale des bibliothèques. Le rapport auquel elle a donné lieu détaille les actions menées par le FN en vue du « rééquilibrage » souhaité : résiliation des abonnements à de grands journaux connus pour leurs sympathies « de gauche » tels Libération, Le Nouvel Observateur ou La Marseillaise, remplacés par des publications d’extrême droite (Présent, Rivarol, National Hebdo) ; réorganisation de la classification des périodiques en catégories étiquetées d’après l’orientation politique : « gauche », « droite » et « droite nationale » (autrement dit extrême droite) ; contestation du choix des titres (par exemple sur des thèmes comme l’homosexualité ou l’islam).
Le conseil municipal de Marignane avait par ailleurs installé une nouvelle équipe administrative, chargée de mettre en place un programme en phase avec les thèses du FN (par exemple des rencontres sur le « racisme antifrançais » ou sur la « crétinisation » de la culture française) et de renforcer les mesures restreignant l’accès des enfants à la bibliothèque . Dans les villes tenues par le FN, non seulement les effectifs des professionnels des bibliothèques étaient systématiquement réduits, mais, de plus, le personnel se faisait ouvertement insulter et était la cible d’actes de vandalisme (pneus crevés, par exemple ; ).
Le FN n’est certes ni le premier ni le seul groupe de l’histoire récente à associer étroitement la politique et la lecture publique. Il suffit de feuilleter la déclaration de l’Ifla sur les bibliothèques et la liberté intellectuelle (2001) pour trouver maints exemples contemporains de la remise en cause des bibliothèques par les instances politiques. En France comme ailleurs, des partis se réclamant de l’un ou l’autre extrême du spectre politique ont utilisé les bibliothèques pour promouvoir leurs idées en intervenant sur le choix des titres, le programme d’activités, l’attribution des postes.
Marie Kühlmann fait état d’incidents touchant à l’achat de documents favorables au parti au pouvoir, au retrait des documents controversés, à la nomination de personnes aux idées politiques affirmées, à des révisions partisanes des programmes d’activités, à des coupes budgétaires (, p. 146-154). Ces incidents qui violent indéniablement les principes au fondement de la liberté intellectuelle n’ont pourtant pas été perçus comme participant d’une stratégie idéologique plus large, et ils ne s’accompagnaient pas non plus des tactiques d’intimidation habituellement pratiquées par le FN. L’expérience vécue par Catherine Canazzi, l’ancienne directrice de la bibliothèque municipale d’Orange, corrobore en revanche celle d’autres bibliothécaires quand elle relate les menaces verbales, les humiliations publiques et autres méthodes d’intimidation employées par le FN . Quoi qu’il en soit, les mesures prises par le FN à Orange et ailleurs auront réussi à galvaniser le milieu des bibliothécaires et à promouvoir une grande cause internationale.

Aux armes, citoyens !

La léthargique bibliothèque municipale d’Orange n’avait a priori rien pour retenir l’attention du monde. En 1995, elle se composait de deux petites salles au deuxième étage, dans une rue latérale, accueillant une collection modeste et passablement datée de 52 000 volumes, complétée par des abonnements à 46 périodiques. Elle n’était ouverte que trente heures par semaine et ses lecteurs inscrits ne représentaient que 7 % de la population de la ville (, p. 5-6). Les bibliothèques de Vitrolles et de Marignane étaient à peine plus importantes. Les interventions du FN allaient cependant confirmer les pires craintes sur la manière dont ce parti entendait gouverner quand on lui en offrait l’occasion. En outre, une inquiétante évolution sociale se faisait jour, attestée par la multiplication des cas de harcèlement de bibliothécaires et des dénonciations par l’extrême droite du contenu des collections . Les bibliothécaires et leurs alliés étaient nombreux à penser que la situation était en soi un appel aux armes.
Quelques jours après la remise à la presse du rapport d’inspection sur la bibliothèque d’Orange, le 11 juillet 1996, Libération publiait en gros titre : « Censure FN à la bibliothèque d’Orange » ; dès le lendemain, Le Monde lui emboîtait le pas avec un reportage d’Ariane Chemin intitulé « Le Front national impose ses choix à la bibliothèque municipale d’Orange ». L’information traversa l’Atlantique et, le 20 août, le New York Times faisait paraître un article de Craig Whitney, « Le maire voit rouge et purge les achats de livres ». Reprise par de nombreux titres de la presse internationale, l’histoire devait resurgir aux États-Unis en 2002, dans les colonnes du New Yorker. Les actions du FN à Marignane et à Vitrolles furent également largement répercutées par les médias français et étrangers ; un documentaire sur les conséquences de la politique du FN à Marignane, « Bibliothèques sous influence », a été diffusé sur France 3 .

Ces analyses qui ont bien sûr été relayées par la presse professionnelle ont retenu l’attention des bibliothécaires du monde entier. L’Ifla a publié à l’intention du gouvernement français et des municipalités françaises une motion de soutien aux principes énoncés dans le Manifeste de l’Unesco sur les bibliothèques publiques, selon lesquels ni les collections ni les services de ces dernières ne doivent subir, sous quelque forme que ce soit, une censure de nature idéologique, politique ou religieuse (, p. 390-391). Plus récemment, Eblida (European Bureau of Library, Information and Documentation Associations) a exprimé sa préoccupation de voir que « le pluralisme, la neutralité et le professionnalisme des services de bibliothèque publique sont dangereusement attaqués de différentes façons », et réussi à porter la question devant le Parlement européen .
Pour symboliques que soient ces actions, elles n’en illustrent pas moins l’importance accordée au problème et l’ampleur de ses répercussions. Il est néanmoins essentiel de l’envisager en perspective. La comparaison des rapports nationaux repris dans la Déclaration de l’Ifla sur les bibliothèques et la liberté intellectuelle (2001) montre que dans de nombreux autres pays la censure est beaucoup plus étendue et plus systématique. En s’attaquant à la liberté intellectuelle dans la république de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, le FN a toutefois créé l’onde de choc proverbiale qui ébranle la planète entière.
Pris au dépourvu par leurs premières confrontations avec le FN, les bibliothécaires français se sont ensuite organisés pour diffuser des informations sur les remises en cause du contenu des collections et les ripostes à y apporter. Bien qu’il n’y ait pas, au sein de l’Association des bibliothécaires français (ABF), d’instance équivalente à la commission créée par l’Ifla pour le libre accès à l’information (FAIFE) ou au Bureau des libertés intellectuelles de l’American Library Association (ALA), les Français ont mis en place un collectif d’organismes professionnels (constitué, entre autres, du groupe Paca [Provence-Alpes-Côte d’Azur] de l’ABF et de la Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation) qui a organisé un atelier destiné à aider les bibliothécaires à défendre leurs collections et leurs services. Les participants à cet atelier ont conçu une boîte à outils accessible à partir du site web de l’ABF, avec des liens à des textes qui retracent les fondements juridiques et philosophiques de la liberté intellectuelle en France et précisent les droits et les responsabilités des agents de la fonction publique (dont les bibliothécaires) s’agissant de l’expression de leurs opinions (le devoir de réserve). On y trouve également des conseils sur la constitution de dossiers, sur les canaux par lesquels passer pour faire état des problèmes et en informer la presse . Parallèlement, quantité de conférences, de séminaires et de colloques ont contribué à sensibiliser les milieux professionnels sur les ramifications des actions menées par le FN.
Si utiles qu’elles soient, ces démarches ne sont sans doute pas en elles-mêmes suffisamment dissuasives pour décourager le FN, ou d’autres groupes partisans, de transformer la bibliothèque en plate-forme idéologique et de s’en prendre aux bibliothécaires. Raison pour laquelle d’aucuns ont lancé l’idée de promulguer une loi qui protégerait concrètement l’autonomie des bibliothèques et des bibliothécaires.

Une loi pour les bibliothèques ?

Dans un cas au moins, l’action juridique entamée pour contrer les visées du FN a été couronnée de succès. Avec le soutien de la délégation régionale de l’ABF, un groupe d’habitants de Marignane a porté plainte contre le conseil municipal au motif qu’il avait résilié les abonnements à Libération, au Monde et à La Marseillaise. Dans l’article qu’il a consacré à l’affaire, Luc Leroux explique que le juge a suivi l’accusation et décrété que l’adjoint au maire n’avait pas qualité pour prendre des décisions concernant les collections de la bibliothèque . Il a ordonné à la municipalité de se réabonner à ces titres au motif que la décision de résiliation privait les usagers de la bibliothèque d’un important courant de pensée.
Même si ce cas fait jurisprudence, les bibliothécaires n’ont à leur disposition qu’un arsenal juridique des plus minces. Une loi antiraciste (no 72-546, 1er juillet 1972) et la loi Gayssot qui réprime la contestation des crimes contre l’humanité (no 90-615, 13 juillet 1990), venues toutes deux modifier la loi de 1881 sur la liberté d’expression, rendent illégales la publication de certaines idées. Exception faite des publications illégales, la politique d’acquisitions reste à la discrétion des bibliothécaires, qui n’ont aucun moyen juridique de s’opposer à l’ingérence des autorités politiques dans les collections et les services des bibliothèques municipales.
Si, en France, ces dernières sont en grande partie financées par les municipalités, c’est à l’État qu’il incombe d’en assurer le contrôle technique, notamment en ce qui concerne le pluralisme des collections et leur mise à la disposition du public. Régulièrement, des inspections sont diligentées, mais aucune sanction légale ne punit les irrégularités constatées.
À la suite des problèmes surgis à Orange en 1996, Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Culture, a riposté en annulant les crédits précédemment accordés pour l’agrandissement de la bibliothèque (une stratégie dont on peut à juste titre soutenir qu’elle pénalise plus les habitants de la ville que ses dirigeants). Selon l’analyse publiée par Olivier Schmitt dans Le Monde du 23 juillet 1996, le ministre a de plus exhumé la vieille idée d’une loi sur les bibliothèques publiques, en l’infléchissant dans le sens du pluralisme . À partir du moment où les bibliothèques auraient un moyen juridique d’assurer le pluralisme de leurs collections, il deviendrait possible d’empêcher de pareilles interventions politiques. Tel était du moins le raisonnement du ministre.
Or, parce qu’elle est foncièrement ambiguë, la notion de pluralisme a agi sur le FN comme un chiffon rouge. L’ambiguïté au cœur de ce concept qui admet tous les courants de pensée permet à chaque camp de s’en revendiquer : d’un côté les bibliothécaires soutenaient que le FN ne respectait pas le pluralisme puisqu’il refusait le multiculturalisme et les opinions politiques contraires aux siennes, de l’autre le FN affirmait que les bibliothèques contrevenaient aux exigences du pluralisme en refusant les publications de l’extrême droite. Cité dans Le Monde en date du 19 février 1997, un des porte-parole du FN, Jean-Yves Le Gallou, déclarait ainsi : « Si une loi sur le pluralisme dans les bibliothèques était votée, le parti l’utiliserait devant les tribunaux pour faire entrer dans les bibliothèques les auteurs et les journaux qui en sont aujourd’hui exclus ».
Catherine Trautmann, qui a remplacé Douste-Blazy au ministère de la Culture, se disait elle aussi favorable à l’adoption de cette loi, dont elle espérait qu’elle donnerait « aux bibliothécaires les moyens de s’opposer à des décisions scandaleuses en matière d’acquisition ». Dans l’intervalle, le pluralisme était passé à l’arrière-plan, mais là n’est pas le plus important ; à ce jour, la loi annoncée n’a toujours pas été votée.
D’autres pays européens et le Royaume-Uni avec eux se sont dotés de lois sur les bibliothèques, mais la France continue d’en différer l’adoption. L’idée, très antérieure aux problèmes posés par l’extrême droite, a beau être soutenue par l’ABF, elle ne fait pas l’unanimité. Pour l’Association des bibliothécaires français, une telle loi aurait le mérite de définir la mission de la bibliothèque publique et de préciser aussi bien les responsabilités des bibliothécaires que les limites du contrôle extérieur . Paradoxalement, les opposants au projet mettent en avant les risques qu’il pourrait comporter pour l’autonomie et le contrôle au niveau local .
Quoi qu’il en soit, parmi les nombreuses raisons expliquant son ajournement, on peut invoquer le manque de soutien politique, le calcul partisan et les ramifications complexes de la décentralisation. Rien ne dit aujourd’hui que la loi sur les bibliothèques sera un jour adoptée, ni, si elle devait l’être, qu’elle apportera la solution qu’en attendent ses supporters.
Politique d’acquisitions, censure et liberté intellectuelle

Quant au Front national, il a promptement organisé sa défense contre l’avalanche des critiques en se disant victime d’une discrimination systématique de la part des bibliothèques et en affirmant que ses actions visaient uniquement au « rééquilibrage » des collections. Dans le New York Times du 30 août 1996, Craig Whitney note que Jacques Bompard justifiait comme suit sa politique à la mairie d’Orange : « Toutes les bibliothèques françaises sont aux mains de la gauche et de l’extrême gauche. Je veux que tous les courants politiques y soient représentés, sauf pour les livres immoraux ou interdits. » Le FN a lui-même publié un rapport dans lequel il dénonce l’influence des idées « de gauche » dans la constitution des fonds de bibliothèque et l’absence de pluralisme de la pensée politique. Il y accuse les bibliothèques de pratiquer la censure et de mépriser ouvertement les principes du pluralisme en excluant la voix d’opposition de certains groupes politiques, nommément ceux d’extrême droite .
En somme, le FN retourne astucieusement l’argument en affirmant que ses élus se contentent d’appliquer à la gestion des bibliothèques des principes démocratiques bafoués par les bibliothécaires. De graves erreurs logiques et méthodologiques entachent ce rapport dont la raison avouée consiste à examiner le contenu politique et social des fonds de bibliothèque. Il épingle de grands titres de la presse de gauche, tel le journal Libération, comme autant d’exemples flagrants de l’influence de l’extrême gauche, et en déduit qu’il y a bien deux poids et deux mesures puisque l’extrême droite n’est pas représentée.
L’« extrémisme » des deux bords n’est en réalité pas comparable. Mal conduites, les recherches sur les catalogues matières aboutissent à la fausse conclusion que les contes de fées du folklore européen seraient sous-représentés. En dépit de ces erreurs méthodologiques, le rapport n’en soulève pas moins des questions importantes sur la nature du pluralisme politique dans les collections de bibliothèque. Déjà tenus d’élaborer des stratégies offensives pour protéger les bibliothèques de la mainmise du politique, les bibliothécaires ont de surcroît dû approfondir la réflexion sur leurs pratiques afin de défendre le professionnalisme que réclame la constitution des fonds documentaires.
Les accusations du FN ont amené la profession à se pencher sur les points faibles du développement des collections. De l’avis de Bertrand Calenge, traditionnellement les bibliothécaires français rechignent à consacrer du temps à la formalisation des politiques d’acquisition et à l’évaluation des fonds documentaires. S’agissant du développement de ces derniers, ils privilégient souvent l’approche intellectuelle sur l’approche technique (, p. 1-32). Dans le même ordre d’idées, l’ABF a engagé une réflexion sur les principes et les pratiques présidant à la sélection des titres, afin de permettre aux bibliothécaires d’être en phase avec les besoins de la collectivité à laquelle ils s’adressent et de justifier leurs choix. Sa commission acquisitions, constituée dans cet esprit, a travaillé sur les critères à respecter en matière d’acquisitions et édité un ensemble de recommandations qui formalisent les politiques et les procédures . La réflexion sur les questions liées à l’évolution des fonds documentaires, en particulier les plans de développement des collections, l’évaluation des collections et la formation professionnelle, se poursuit au sein d’un groupe de recherche, Poldoc, créé en 1999 et hébergé par l’Enssib .
L’examen des textes publiés par la profession au cours de cette période laisse penser que le Front national l’a de fait incitée à (ré)examiner pour mieux les défendre les principes au fondement même des bibliothèques et du métier de bibliothécaire. Les bibliothèques publiques françaises ont à la fois la chance et le malheur de s’inscrire dans une tradition historique qui, au départ, les destinait à la conservation du patrimoine national et au soutien de l’érudition livresque (d’où le titre de « conservateur », qui correspond au plus haut grade de la profession). Ces collections et cette clientèle triées sur le volet ont longtemps joué contre l’ouverture des bibliothèques à une documentation diversifiée susceptible d’intéresser l’ensemble de la population 4.
Si, dès le XVIIe siècle, Gabriel Naudé affirmait avec éloquence que la bibliothèque doit servir l’exercice public de la raison, les bibliothèques publiques françaises ne sont devenues des centres d’information et de documentation tous publics qu’à une époque relativement récente. La Charte des bibliothèques, adoptée au début des années 1990, définit la bibliothèque comme « un service public nécessaire à l’exercice de la démocratie » ; ce document stipule en outre que les collections doivent en conséquence être accessibles à tous, conçues pour répondre aux besoins de l’ensemble des membres de la collectivité et pour représenter tout l’éventail des connaissances et des courants d’opinion . La remise en cause de la mission des bibliothèques à laquelle s’est livré le Front national a donc engagé la profession dans une réflexion sur la manière dont les bibliothèques peuvent contribuer à la démocratie en mettant l’information à la libre disposition de tous les citoyens, en garantissant l’égalité de l’accès à l’information et en participant de la sorte au développement d’une citoyenneté informée .
Les actions du Front national ont également engagé la profession dans un débat majeur sur la censure et la liberté intellectuelle, à un moment où les bibliothécaires se débattaient dans une situation paradoxale puisque, tout en dénonçant la censure idéologique exercée par le FN, ils justifiaient le rejet des documents de propagande et des écrits extrémistes. En résumant la teneur de ce débat lors d’un colloque consacré aux politiques et aux pratiques d’acquisition des bibliothèques publiques, Martine Poulain a posé cette question capitale : « Mais, faut-il, au nom du pluralisme, voire au nom de la démocratie, accepter toutes les publications dans la bibliothèque, y compris celles qui nous répugnent et qui sont contraires aux principes mêmes sur lesquels s’est constituée la bibliothèque publique ? ». Avec à l’esprit le vibrant plaidoyer de Voltaire en faveur de la liberté intellectuelle (« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je défendrai jusqu’à la mort votre droit de le dire »), Martine Poulain soutient qu’il est aussi du devoir des bibliothécaires de défendre une institution, la bibliothèque publique, qui s’attache à développer ses fonds documentaires en fonction de certaines valeurs et de certains principes.
Jean-Luc Gautier-Gentès revient quant à lui sur la mission culturelle de la bibliothèque publique, et il pose la question de savoir si les documents ouvertement politiques, tels ceux qu’éditent les partis, certaines biographies, etc. ont leur place dans ses collections. Si la réponse est oui, il lui paraît essentiel d’y accueillir toutes les idéologies . Selon les principes énoncés par la commission acquisitions de l’ABF, les bibliothèques publiques se doivent de contribuer à la cohésion sociale, et elles peuvent se réclamer des valeurs constitutionnelles pour refuser des documents qui rejettent ou pénalisent ouvertement certaines catégories de population. Dans la même logique, les bibliothécaires ne doivent pas réduire au silence les voix de l’opposition en écartant délibérément les textes et documents qui prônent des idées controversées. Tout en s’efforçant de prendre en compte les divers courants de pensée, ces professionnels formés aux pratiques de la sélection documentaire dans le respect des idéaux démocratiques doivent par conséquent distinguer entre les matériaux de propagande et les arguments raisonnés (, p. 125).
La question du pluralisme politique dans les collections de bibliothèque n’en finit pas d’alimenter la réflexion. Dans l’essai perspicace qu’il consacre à la littérature extrémiste, Jean-Luc Gautier-Gentès incite les bibliothécaires à s’interroger sur la censure qu’ils pratiquent peut-être implicitement et à se demander si les bibliothèques ne sont pas, en effet, devenues les « conformothèques » dénoncées par le FN : des lieux dévolus au conformisme centriste, où les extrémismes n’ont pas droit de cité . L’engagement des bibliothécaires vis-à-vis de la démocratie ne risque-t-il pas de les amener à considérer les écrits produits aux deux extrêmes de l’éventail politique comme des menaces potentielles pour les idéaux démocratiques qui leur tiennent à cœur ? Paradoxalement, cette attitude reviendrait à refuser la liberté d’expression à ceux qui, justement, voudraient supprimer cette liberté. Parmi les arguments qu’il avance contre la présence de la littérature extrémiste dans les bibliothèques, J.-L. Gautier-Gentès cite l’inquiétude de voir la bibliothèque soupçonnée de soutenir de telles opinions et de se rendre complice des projets d’une propagande incendiaire qu’elle aurait accepté de diffuser. Ces documents qui s’en prennent souvent aux membres les plus vulnérables de la collectivité peuvent déstabiliser les bibliothécaires dans leur lutte contre la répression.
À l’appui de l’inclusion de la littérature extrémiste dans la bibliothèque, J.-L. Gautier-Gentès avance que sa mise à la disposition du public permet à ceux qui cherchent à la réfuter de travailler dessus. Souvent ces textes sont assez outranciers pour discréditer leurs auteurs, et il ne faut donc pas surestimer leur pouvoir de nuisance. Qui plus est, les tentatives pour étouffer les opinions contestataires sont toujours préjudiciables à la démocratie et elles offrent aux groupes rejetés des motifs suffisants pour crier à la victimisation. La répression des idées dangereuses peut s’avérer improductive, comme le démontrent Kechichian et Van Renterghen dans un article publié le 17 mars 1997 par Le Monde à propos de la destruction du stand du Front national au Salon du livre de Paris .
Jean-Luc Gautier-Gentès soutient que s’il est de la responsabilité des bibliothèques de s’inscrire dans les limites du consensus social qui permet à la société de fonctionner, elles ne doivent pas se prévaloir d’un consensus intellectuel où seules certaines idées sont admises. Il lui paraît important de faire la distinction entre l’exclusion des expressions ouvertement haineuses (le « discours de la haine ») et la censure de la pensée extrémiste. Les bibliothèques, estime-t-il, doivent acheter des éditions critiques d’œuvres controversées (Mein Kampf, par exemple) – recommandation qui n’est peut-être pas très réaliste compte tenu du nombre limité de ce genre d’ouvrages –, et il les presse de trouver un juste équilibre entre l’obligation d’offrir à leur public un choix exhaustif des courants de pensée et la nécessité de préserver le contrat social qui les lie à la collectivité. À cet égard, le développement collectif des fonds documentaires et le partage des ressources lui apparaissent comme de bonnes stratégies pour sortir de l’impasse. Ils dispensent en effet les bibliothèques individuelles d’acheter des documents sortant par trop du champ défini par leur politique d’acquisitions, en leur permettant de se tourner vers des bibliothèques à la mission plus étendue et qui ont donc les coudées plus franches pour intégrer cette littérature à leurs collections.
Que l’on pense à la réflexion autour de la mission de la bibliothèque publique, aux discussions et aux échanges d’idées sur la censure et le développement des collections, il est indéniable que les actions du Front national ont eu un impact sur la profession. En l’obligeant à se pencher sur les principes dont elle se réclame et en agissant comme un catalyseur sur le débat intellectuel, elles n’ont pas seulement uni et fortifié les bibliothécaires, elles ont aussi fait surgir des questions philosophiques dont ils peuvent se saisir mieux que quiconque.
La situation actuelle

La présence du FN au deuxième tour des élections présidentielles de 2002 a de nouveau mobilisé de nombreux bibliothécaires. La liste de discussion Biblio.fr 5 a été inondée de messages qui pressaient les participants de manifester leur opposition politique – certains se demandaient toutefois si un tel engagement politique n’était pas en rupture avec la déontologie professionnelle (2002).
L’ABF a mis en place un site web pour rassembler les efforts de mobilisation au sein de la profession, avec des informations utiles, une bibliographie et des liens permettant d’accéder aux déclarations et communiqués de quantité d’organismes professionnels ayant pris position contre le Front national . Gilles Éboli observe toutefois que la situation ne s’est pas vraiment améliorée, malgré la mobilisation de la profession et la vague d’agitation de la fin des années 1990. Les milieux professionnels ont été incapables d’atténuer les conséquences catastrophiques de l’ingérence politique dans les bibliothèques publiques des villes dirigées par le FN, notamment les amputations de budget qui ont diminué de 48 % les crédits de la BM d’Orange, la baisse de 39 % du nombre de lecteurs inscrits à Vitrolles 6, la réduction drastique des effectifs de la bibliothèque de Marignane. Il engage en conséquence ses collègues à rester vigilants et à continuer d’exiger l’élaboration d’une charte qui définirait précisément leurs responsabilités professionnelles et garantirait l’accès à l’information .
Le paysage professionnel s’est par ailleurs sensiblement modifié. À la fin des années 1990, la presse a largement contribué à donner une envergure nationale à la question du contrôle politique des bibliothèques. Les bibliothécaires se sont organisés pour alerter le public sur les valeurs au fondement de leurs institutions et mettre au point des stratégies de défense contre le pouvoir politique. La remise en cause par le FN, au nom de l’ostracisme dont il se prétendait victime, du statu quo jusqu’alors observé en matière d’acquisitions, a engagé les bibliothécaires dans des débats passionnés sur la censure, la liberté intellectuelle, le sens du pluralisme dans les collections de bibliothèque.
En définitive, ces questions cruciales sont au cœur même de leur métier : elles les obligent à prendre conscience des principes et des pratiques qui président au développement et à la gestion d’un fonds documentaire pluraliste, à la sauvegarde de l’accès à l’information, à un service public offert à tous sans discrimination. S’inspirant de l’exemple de nombreux collègues étrangers, l’ABF a rédigé un code de déontologie qui fixe les principes à respecter dans la fourniture des services et la constitution des collections. Il engage spécifiquement les bibliothécaires à développer des collections devant permettre aux usagers de mieux comprendre les débats publics, sans céder aux divers groupes de pression politiques, religieux, syndicaux ou sociaux .
Ces mesures largement symboliques peuvent-elles suffire à tenir en respect un mouvement qui s’attaque aux valeurs démocratiques ? Dans un article publié dans Le Monde le 27 juillet 1997, l’ancien secrétaire d’État à la Défense, Jean Gatel, jugeait futile d’opposer au Front national les arguments de la logique et de la raison, sachant que ses dirigeants recourent sans états d’âme aux attaques personnelles, à la diffamation, voire à l’agression physique . Pour lui comme pour bien d’autres, la réponse la plus efficace consiste à mettre en place les conditions économiques et sociales qui entraîneront la défaite politique de l’extrême droite.
Il ne fait pas de doute que les bibliothécaires s’associeront à ce projet difficile et de longue haleine. Parallèlement, ils doivent continuer à faire en sorte que leurs collections, leurs services, leur engagement public soient conformes aux idéaux démocratiques, afin que les bibliothèques restent des havres propices à « l’exercice public de la raison ».
Août 2004
Affiche éditée en 1996 par le Couac (Collectif des ouvrages actuellement censurés à Orange). Conception et réalisation : Alain Korkos (http://perso.club-internet.fr/korkos)
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