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L'URSS , les années Eltsine

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Message  livaste Mar 30 Déc - 23:10

RUSSIE ,FÉDÉRATION DE - Les années Eltsine


Boris Eltsine restera comme la principale figure du démantèlement de l'U.R.S.S. et de la transition de la nouvelle Russie vers un futur encore incertain. L'importance du personnage tient tout autant à son rôle réel qu'aux espoirs qu'il a incarnés, et déçus fort souvent, lui conférant une dimension tragique au-delà de comportements parfois bouffons. S'il a su, à plusieurs reprises, comprendre le sens des événements, il s'est révélé tout aussi souvent incapable de se hausser au niveau de ses responsabilités. Les ambiguïtés de l'homme, tout à la fois hardi et craintif, cherchant l'affrontement pour se plaindre ensuite des attaques dont il a fait l'objet, ses pathologies personnelles, dont l'alcoolisme est la plus notoire, dessinent le portrait d'un chef d'État qui ne fut vraisemblablement pas un homme d'État, d'un dirigeant post-communiste profondément lié à la tradition et aux coutumes de l'exercice soviétique du pouvoir.



2005 Encyclopædia Universalis France S.A.


Du Eltsine révolutionnaire au premier président de la Russie

Ancien responsable régional communiste pour la région de Sverdlovsk (aujourd'hui Ekaterinbourg), Boris Nicolaevitch Eltsine gagne Moscou à la fin des années 1970 et se fait connaître rapidement par ses positions en pointe dans le débat ouvert à partir de 1985 sur la réforme du système soviétique, la perestroïka.

Mieux et plus vite que Mikhaïl Gorbatchev, qui en fut pourtant l'initiateur, il comprend que ce mouvement de réforme a acquis une dynamique révolutionnaire. Dans un tel contexte, le choix des positions extrêmes est souvent plus payant que la modération. Aussi, partisan de plus de réformes dans le sens d'un démantèlement du système soviétique, s'opposera-t-il systématiquement à Gorbatchev, premier secrétaire du Parti communiste d'Union soviétique et bientôt premier président de l'Union soviétique. Cette position lui attire la sympathie des intellectuels déçus par une modération prise pour de la timidité, et il regroupe autour de lui ceux que l'on devait appeler, à partir de 1991-1992, les « libéraux » et les « démocrates ».

Boris Eltsine comprend aussi que la fin de l'U.R.S.S. signifie inévitablement le réveil du nationalisme, et en premier lieu du nationalisme russe. Il n'hésite pas à enfourcher ce cheval, se faisant l'avocat d'un démantèlement de fait de l'Union, sur les ruines de laquelle il espère reconstituer une Russie dominante. Jouant des complexes et des ressentiments latents d'une population qui ne comprend pas la logique des transferts sociaux (subventions et aides budgétaires) vers les zones de moindre développement de l'Asie centrale et du Caucase, il prêche le retour à une vision directement impériale de la puissance russe. Ainsi se comprend la popularité dont il bénéficie dans les dernières années de la perestroïka.

Pour parvenir à ses fins, il doit paralyser le processus de réforme graduelle et de démocratisation progressive initié par Gorbatchev. Pour ce faire, il n'hésitera pas à jouer ouvertement la carte des pouvoirs locaux contre le pouvoir fédéral. Élu à une forte majorité président du Parlement de Russie en 1990, il profite de cette tribune pour se construire l'image d'un réformateur radical, opposé aux temporisations de Gorbatchev. Durant l'hiver de 1990-1991, ses déclarations à l'emporte-pièce, appelant les responsables régionaux et les républiques fédérées de l'U.R.S.S. à « prendre autant de pouvoir qu'ils peuvent en manger », sonnent le glas de la réforme du système fédéral et amorcent la bombe du processus de désintégration du pays. Renforcé par la passivité de Gorbatchev à son égard, qui le laisse faire alors que les déclarations d'Eltsine sont des appels ouverts à violer les lois constitutionnelles en vigueur et auraient été passibles de prison dans tout autre pays, il démissionne de son poste pour être triomphalement élu au scrutin universel président de la République fédérative de Russie, le 12 juin 1991.

La tentative de coup d'État, menée par les conservateurs du Parti communiste (19-22 août 1991), achève de conférer à Eltsine la stature d'un chef charismatique, d'un sauveur de la démocratie, quand bien même il n'a pas pris personnellement de grands risques. Ce sont certains de ses collaborateurs, qui deviendront par la suite ses adversaires, comme le général Routskoï (le vice-président russe) et Rouslan Khasboulatov (qui lui succède comme chef du Parlement) qui se montreront dès les premières heures, quand l'issue est encore incertaine, sur les barricades. Mais déjà une image court dans les médias, Eltsine juché sur un char haranguant la foule. Elle fera le tour du monde et lui assurera une considérable rente de prestige chez les dirigeants occidentaux.

Dès lors, Gorbatchev est sur la défensive. Jour après jour Eltsine le déshabille de la réalité de ses pouvoirs. Le dernier acte se joue quand, de concert avec les présidents ukrainien et biélorusse, Eltsine décide, le 8 décembre 1991, de dissoudre l'U.R.S.S. et de créer la Communauté des États indépendants (C.E.I.). Ici encore, on est en présence d'un acte typiquement révolutionnaire, bafouant toutes les formes légales et constitutionnelles, pris pour de simples raisons d'opportunité politique. Par ce geste, en effet, Boris Eltsine a non seulement aboli l'U.R.S.S. mais aussi démantelé l'Empire russe dont le système soviétique était, en un sens, la continuation. Il se trouve alors dans les habits d'un « père de la nation » devant, d'un mouvement, tout reconstruire, l'économie comme le système politique, l'ordre interne comme les relations avec les anciennes républiques fédérées. Qu'il n'ait pas compris alors l'immensité et la complexité de la tâche qui l'attendait est certain ; mais qu'il ait même simplement compris ce que signifiait son geste est douteux.

Dans son sobre et digne discours d'adieux, Gorbatchev mettra en garde ses concitoyens contre les maux à venir. Les affrontements et guerres civiles qui se sont succédé dans l'ex-U.R.S.S., et en Russie même, lui ont
donné raison.

Boris Eltsine et la transition

À la fin de 1991, quatre défis attendent donc Boris Eltsine : libéraliser l'économie ; démocratiser la vie politique ; construire de nouvelles institutions fédérales ; choisir la forme d'insertion de la nouvelle Russie dans le concert des nations.

Par la force des choses, il doit d'abord s'attaquer au défi économique et choisit d'appuyer les partisans d'une thérapie de choc inspirée de l'expérience polonaise, Egor Gaïdar, Boris Fiodorov et Anatoli Tchoubaïs. Ces derniers préconisent une libération complète des prix accompagnée d'une totale ouverture de l'économie russe à la concurrence internationale. Les résultats de cette politique sont désastreux. Les effets d'une libéralisation trop brutale, associée, à partir de 1993, à une politique monétaire fortement restrictive menée pour combattre la forte inflation, provoquent une dépression qui durera de 1992 à 1999. Le produit intérieur brut de la Russie est divisé par deux durant cette période, et la production industrielle diminue de près de 60%. La chute de l'industrie, alors que ce secteur était une des seules réussites du système soviétique, va de pair avec une financiarisation croissante de l'économie qui, jusqu'en 1998, donne un rôle excessif aux nouvelles banques et aux nouveaux banquiers. L'appauvrissement brutal de la population, tragique pour les retraités, se traduit par une explosion des différences sociales. À côté de la grande misère, entraînant une forte chute de l'espérance de vie, s'étale le luxe outrancier d'une poignée de personnes enrichies par les trafics liés aux privatisations, la spéculation financière ou l'accaparement des revenus issus des matières premières, qui paraissent dès lors la seule richesse tangible de la Russie. On les appelle les « nouveaux Russes », et le pouvoir de Boris Eltsine leur est rapidement assimilé. Les nécessaires privatisations donnent lieu à des exemples multiples et scandaleux de trafic d'influence entre l'entourage immédiat du président, les économistes libéraux, et des aigrefins dont les moyens financiers initiaux ont souvent été constitués de manière criminelle.

En dépit de la montée des oppositions, Boris Eltsine soutient jusqu'en 1998 cette ligne économique, qui conduit, de scandales en scandales, à la très grave crise financière d'août 1998. Celle-ci oblige le gouvernement russe à dévaluer le rouble en urgence, le 17, et à faire défaut sur sa dette interne. Cette catastrophe financière marque la fin de la politique économique libérale en Russie. Au-delà des retombées économiques et sociales désastreuses que cette dernière a entraînées, une conséquence majeure de son application a été de dégoûter la population des thèses libérales et pro-occidentales qui dominèrent de 1990 à 1993.
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Message  livaste Mar 30 Déc - 23:14

Crise économique en Russie, septembre 1998



Si Boris Eltsine a incontestablement réussi à casser le modèle économique soviétique, au risque de casser l'économie elle-même, il a clairement échoué à rendre légitime un tel changement. Plus précisément, alors qu'il a bénéficié d'un soutien populaire incontestable pour appliquer sa politique libérale, il a rapidement dilapidé le capital de confiance placé dans l'économie de marché par la population russe.

Un tel retournement de situation est lié aux évolutions politiques. Durant le premier semestre de 1992, le Parlement de Russie soutient la politique préconisée par Boris Eltsine. Les premières divergences n'apparaissent qu'à l'automne de cette année-là. Au lieu de chercher à renouer le dialogue avec des députés qui l'avaient initialement soutenu, Eltsine, de manière typique, préfère l'affrontement. Celui-ci culmine avec la dissolution du Parlement par l'usage de la force militaire, dans les combats du 2 au 4 octobre 1993, qui font plusieurs centaines de morts à Moscou. Resté maître du terrain grâce au ralliement, tardif, de l'armée, Eltsine en profite pour imposer une nouvelle Constitution qui lui accorde un pouvoir exorbitant et rompt avec le principe d'équilibre des pouvoirs que Gorbatchev avait tenté d'imposer dans ses multiples réformes de l'ancienne Constitution soviétique. En particulier, la nouvelle Constitution permet au président de gouverner même si l'Assemblée, qui reprend son ancien nom de Douma, lui est défavorable, ce qui est le cas à l'issue des élections législatives de décembre 1993 et de décembre 1995.

Mais la Constitution imposée par Eltsine a d'autres défauts. Elle ne permet pas d'organiser le fédéralisme en Russie, et ce alors que les territoires (kraï), les régions (oblast) et les républiques fédérées prennent une autonomie de plus en plus grande en raison de la carence des administrations centrales. Les défauts de l'ordre constitutionnel sont encore aggravés par la pratique du pouvoir telle que l'entend Boris Eltsine. Progressivement, ce dernier cherche à dresser les différentes institutions les unes contre les autres pour accroître son pouvoir personnel. Les comités, conseils et autres organismes ad hoc se multiplient dans une confusion administrative et politique des plus totales. L'appareil présidentiel grandit sans cesse en effectifs et en influence ; à partir de 1994, il y a plus de fonctionnaires à Moscou qu'il n'y en avait du temps de l'U.R.S.S., en raison d'une duplication des pouvoirs et de l'établissement d'administrations parallèles.

Sous les apparences d'une démocratie parlementaire et élective, la réalité est celle du jeu des clans et des cliques, relayés par des groupes financiers étroitement liés au pouvoir et dirigés par ceux que l'on nomme les oligarques. Les élections elles-mêmes sont l'occasion de trucages et de manipulations multiples, depuis les législatives de décembre 1993 jusqu'à la réélection d'Eltsine en juillet 1996. Vidée de ses principes et de son contenu, la démocratie entre dès lors en agonie tandis que fleurissent les arbitraires locaux et centraux. Des tribunaux locaux refusent d'enregistrer des décisions de justice prises par des cours fédérales et, dans de nombreuses régions, se profile l'alliance du gouverneur avec les représentants directs du crime organisé. Progressivement, le pouvoir en Russie devient le fait de coteries dont la plus importante, surnommée la « famille », réunit, autour d'un président dont l'état physique et mental se détériore rapidement, quelques oligarques et les derniers représentants des économistes libéraux. Les absences de Boris Eltsine au Kremlin se multiplient, tandis qu'en public des cas manifestes d'hallucination ou de perte de mémoire deviennent de plus en plus fréquents.

Boris Eltsine a cherché, dans la plus pure des traditions soviétiques, à s'appuyer sur des personnes et non sur des institutions. Il en est, progressivement, devenu dépendant et des phénomènes de cour se sont développés au Kremlin autour de l'une de ses filles, Tatiana Diachenko, et de l'oligarque Boris Berezovski.


Boris Eltsine et le drame tchétchène

Ce processus est évident dans le déclenchement de la première guerre de Tchétchénie (1994-1996). La proclamation de la souveraineté de cette république autonome, en 1991, faisait justement suite aux appels de Boris Eltsine en direction des dirigeants locaux pour qu'ils se saisissent du pouvoir contre Gorbatchev.

De fait, en 1992 et 1993 s'était instauré un modus vivendi entre Moscou et Grozny. Le général Djokhar Doudaev, président de la Tchétchénie et ancien officier supérieur soviétique, soutenait Eltsine contre ses adversaires politiques en Russie, n'hésitait pas à lui prêter des hommes pour des opérations de déstabilisation dans le Caucase du Sud. En échange, le gouvernement russe ne semblait guère se formaliser de la « souveraineté » tchétchène, payant salaires et pensions pour les fonctionnaires d'un pays dit indépendant. La dégradation de cette situation, qui devait conduire à la sanglante première guerre de Tchétchénie, est inexplicable si l'on ne prend pas en compte l'action des coteries entourant le président russe. En particulier, l'attrait de la privatisation des raffineries de pétrole situées en Tchétchénie et les multiples trafics dans lesquels se compromettent les économistes libéraux en charge des privatisations (Anatoli Tchoubaïs et Alfred Koch) expliquent la marche à la guerre. Loin d'être une décision d'État, même si elle implique l'action des forces de ce dernier, l'intervention militaire russe en Tchétchénie, à la fin de 1994, est exemplaire de la privatisation du pouvoir à laquelle on a assisté durant les deux mandats de Boris Eltsine.

La guerre de Tchétchénie illustre ainsi tragiquement l'incapacité de Boris Eltsine à donner un contenu et une forme acceptable au fédéralisme en Russie. Elle anticipe largement la seconde guerre, déclenchée en septembre 1999. La liberté accordée à des potentats locaux, pourvu qu'ils soutiennent son pouvoir personnel, allant de pair avec des actes d'autoritarisme pur et simple.

Cette première guerre de Tchétchénie est aussi l'occasion d'une brutale remise au pas de la presse, qui avait montré un réel sens critique face au pouvoir depuis la perestroïka. L'année 1995 se solde par la mort d'une dizaine de journalistes, certains couvrant les opérations militaires, d'autres enquêtant sur les divers trafics liés à ces opérations. On peut considérer que globalement, à partir de 1995, la tendance à la liberté d'expression qui s'était développée durant la perestroïka n'a cessé de régresser.


Dernière édition par livaste le Mar 30 Déc - 23:22, édité 1 fois
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Message  livaste Mar 30 Déc - 23:21

Boris Eltsine et le rôle international de la Russie

C'est dans ce contexte qu'il faut juger l'action internationale de Boris Eltsine. Tout en se ralliant, du moins dans les premières années de son pouvoir, à une position pro-occidentale illustrée par son premier ministre des Affaires étrangères, Andreï Kozyrev, il doit affronter les conséquences de la dissolution de l'U.R.S.S. et de ses promesses d'une Russie dominatrice. C'est sous sa présidence que les responsables russes développent le concept d'« étranger proche » pour définir les pays de l'ex-U.R.S.S. considérés comme la sphère d'influence exclusive de la Russie.

Mais, de manière typique de la méthode eltsinienne, ce projet n'a ni cohérence ni continuité. Faute de concevoir les instruments économiques et politiques, pourtant prévus dans le traité organisant la Communauté des États indépendants, nécessaires à un rassemblement autour de la Russie de pays qui en restaient très dépendants, Boris Eltsine doit constater que l'influence russe, en Ukraine mais aussi dans le Caucase du Sud et en Asie centrale, s'amenuise. Face à un tel processus, les réactions sont souvent sporadiques, mal contrôlées, et parfois aventureuses, accompagnées de l'implication, ouverte ou dissimulée, de la Russie dans de nombreuses guerres civiles qui ravagent ses voisins, comme en Géorgie ou au Tadjikistan.

La Russie ne dispose d'ailleurs plus des instruments militaires qui lui permettent une présence directe. Faute de pouvoir se décider quant à une réforme de fond des forces armées, Eltsine laisse ces dernières décliner sans financement, et progressivement se corrompre, voire sombrer dans l'anarchie. Alors que l'ex-armée soviétique résistait à la politisation, comme l'a montré son refus de s'impliquer directement dans la tentative de putsch d'août 1991, Eltsine réussit, par une politique combinant autoritarisme et népotisme, à introduire des lignes de fracture politiques au sein de l'institution militaire.

La recherche désespérée d'un statut de grande puissance pour une Russie appauvrie et en proie au chaos politique passe par le maintien d'un dialogue avec les États-Unis. Mais ce dernier devient, par la force des choses, de plus en plus inégal. Incapable de formuler une vision politique du rôle international de la Russie qui soit compatible avec sa situation réelle, Eltsine combine les abandons devant la puissance américaine à des réactions potentiellement incontrôlables. Ainsi son ministre des Affaires étrangères, le pourtant réputé libéral Andreï Kozyrev, déclare-t-il dès 1993 que les frontières de la C.E.I. sont celles de la Russie.

L'instabilité et l'imprévisibilité caractérisent la politique internationale russe tant qu'Eltsine en assure le commandement effectif. À la faveur de son affaiblissement physique, à partir de 1997, une attitude plus réaliste émerge sous l'impulsion de celui qui est devenu, en janvier 1996, le ministre des Affaires étrangères, Evgueni Primakov.

Quel bilan pour l'ère Eltsine ?

Le 31 décembre 1999, Boris Eltsine annonce sa démission lors d'une allocution télévisée où il demande pardon au peuple russe pour ses fautes et ses erreurs. Il offre alors la vision pitoyable d'un homme profondément malade et usé, à la diction pâteuse et difficile, cherchant à tout prix une issue garantissant aux siens et à leurs proches une immunité pour les nombreux délits et crimes commis dans l'exercice du pouvoir. Cette image est le contrepoint de celle du deuxième jour du putsch de 1991 qui fit tant pour sa notoriété ; elle a valeur de bilan. En réalité, l'eltsinisme est mort avec la crise financière d'août 1998, soit bien avant le départ d'Eltsine du pouvoir et son remplacement par Vladimir Poutine. Et si le clan eltsinien, cerné par de nombreuses procédures judiciaires en Russie ou à l'étranger (comme l'affaire Mabetex, objet d'instructions judiciaires en Suisse et en Italie), avait gardé un pouvoir de nuisance, il n'avait plus comme seul projet que la sauvegarde des prébendes accumulées ainsi que du fruit de ses rapines.

Gorbatchev était arrivé au pouvoir en raison de la profonde crise qui minait le système soviétique, et Eltsine laisse une Russie dévastée. Même le rebond économique que le pays connaît depuis 1999 du fait de la dévaluation du rouble ne lui est nullement imputable. Il résulte pour l'essentiel de politiques allant à l'encontre même de celles qu'Eltsine a toujours soutenues.

Présenté dans la presse occidentale, et en particulier anglo-saxonne, comme le défenseur et l'ultime rempart de la démocratie en Russie, Boris Eltsine en aura largement été le fossoyeur. Il le fut par son antipathie naturelle et instinctive pour tout ce qui pouvait constituer un contre-pouvoir, et qui le conduisit à miner et démanteler les institutions. Son pouvoir fut celui des relations personnelles, de l'amitié comme de haines inexpiables, ces dernières succédant souvent à la première, et non celui des lois et des règles. Il le fut aussi par son aversion personnelle pour le compromis, par son goût de l'affrontement, qui conduisit à de nombreuses reprises la Russie au bord de la guerre civile, comme durant la crise de 1993. Boris Eltsine, encensé parce qu'il était celui qui mit fin au système soviétique, fut certainement l'homme politique russe post-communiste chez qui les tares et les travers de la pratique soviétique du pouvoir furent les plus évidentes.

Il laisse l'économie dans un état aussi désastreux que le système politique. Plus que l'appauvrissement considérable dans lequel les politiques qu'il a soutenues ont plongé la majorité de la population, il est surtout coupable d'avoir laissé se développer le système oligarchique. Ce dernier, mélange d'économie rentière, de collusion entre banques et pouvoir et d'association avec le crime organisé, se caractérise par l'émergence d'un nombre réduit de grands potentats économiques qui concentrent entre leurs mains des moyens tels qu'ils sont largement au-dessus des lois. Le système oligarchique est clairement l'obstacle principal au développement d'une économie moderne en Russie. C'est une économie de pillage et de prébendes, de corruption et de coups de force, parfois sanglants, qui n'incite nullement à l'investissement, à l'innovation et à la création.

L'aspect le plus inquiétant du bilan de Boris Eltsine réside cependant moins dans un état des situations économique et politique que dans les représentations et attitudes de la population. Quand il arrive au pouvoir en 1991, Eltsine est porté par une vague populaire qui souhaite sincèrement une occidentalisation économique, politique et culturelle du pays. En dépit de formulations souvent nécessairement vagues, les études d'opinion de l'époque convergent pour montrer une adhésion majoritaire à l'économie de marché, aux privatisations et à la démocratie. Les éléments culturels occidentaux, et en particulier ceux qui proviennent des États-Unis, bénéficient d'un préjugé favorable. Huit années plus tard, à la veille de sa démission, Eltsine laisse un pays où le terme « démocrate » est presque une injure, où une large majorité de la population souhaite une annulation des privatisations et de fortes restrictions aux mécanismes du marché.

Plus grave encore, l'image des pays occidentaux, et en particulier des États-Unis, s'est fortement dégradée. L'O.T.A.N. est nommément désignée comme l'ennemi principal de la Russie, qui elle-même cherche désormais à tisser des liens étroits avec des pays comme la Chine, l'Iran et l'Inde. La remontée des thèmes idéologiques insistant sur la spécificité russe, son caractère opposé aux valeurs occidentales gagnent du terrain, dans la population comme dans les élites.

La chronologie des événements montre qu'il ne s'agit nullement d'un héritage de la pensée soviétique, cette dernière s'étant effondrée de 1990 à 1992. Le basculement politique et culturel auquel on a assisté durant la dernière année du pouvoir de Boris Eltsine traduit le désenchantement profond provoqué par la politique et les pratiques de ce dernier.

Ainsi se dégage une image des années Eltsine en Russie, marquée par une contradiction forte. Il est indiscutable et incontestable que, sous sa présidence, la Russie a connu des changements gigantesques, et qu'une partie du programme initial de la transition a été accomplie. Pourtant, la légitimité de l'œuvre, tant économique que politique, est des plus fragiles aujourd'hui. Si Eltsine a été un grand destructeur, il n'a pas su adapter ses méthodes et son style à la logique de la construction d'un système durable. Son départ précipité du pouvoir laisse apparaître un homme haï, une politique discréditée, des institutions affaiblies ou à reconstruire et des valeurs en proie à une grave crise de légitimité.


Auteur : Jacques SAPIR
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