Grosse fatigue.

Ce matin, je me suis levée pour aller travailler. Normal. J’étais fatiguée et je n’en avais pas envie mais j’ai pris le tramway pour me rendre au bureau. Normal. A l’intérieur du véhicule, je suis la seule blonde, la seule blanche. J’ai droit aux regards des grandes brutes en survet’ bleu électrique, casquette vissée, bagouses tape-à-l’œil et ipods flambants neufs. Je baisse les yeux. Normal. Dans leur français martyr, ils parlent d’aller se promener à ***** le méga centre commercial, dépenser « l’argent des allocs ». Ils le disent sans aucun problème et je m’explose les tympans avec Thom Yorke pour ne plus avoir à les entendre. Normal.

Autre journée. Je suis à l’université. Des gens viennent bloquer les locaux au nom de la liberté d’apprendre. Je m’interpose, on me traite de fasciste en me prouvant par a+b que ceci n’est pas fait de gaieté de cœur mais pour la défense de mes droits. Je n’ai qu’à la fermer. Normal. Je retrouve les mêmes protagonistes quelques heures plus tard à la terrasse d’un café, fumant comme des pompiers et s’amusant des slogans qu’ils écriront sur les banderoles qui seront affichées dans le hall désormais vide de la faculté. Réalité plus que normale.

Autre journée toujours. Barack Obama est noir, Noémie Lenoir est noire, Seal est noir, Harry Roselmack est noir, Audrey Pulvar est noire, mais les races n’existent pas. Je le sais, j’ai vu ce pauvre Zemmour être à l’origine de trois infarctus sur France 5 pour s’être permis de dire ce qu’un chercheur de l’EHESS constate à longueur de travaux. Ce même chercheur qui se permet même d’adopter des méthodes d’ethnologue du XIXe siècle en quantifiant les noirs, arabes et asiatiques dans les institutions, médias et autres services publics. Ne cherchez plus. Si vous constatez que votre voisin est plus pigmenté que vous, vous êtes un affreux raciste. Si vous comptez, classifiez les gens en fonction de leur couleur de peau dans un cadre uniquement scientifique, vous êtes béatifié au nom du Savoir, du Progrès et de la Modernité. Normal, toujours.

Encore un jour se lève sur la planète France. Mes parents gagnent le smic mais on leur parle du rsa. Je n’entends plus un mot de français dans les transports en commun et on me parle d’immigration. Je suis la seule blanche du tramway et on me parle de diversité. On me parle de liberté d’expression mais je suis obligée d’écrire sous un pseudo. On me parle de droits, mais je n’ai que des devoirs, celui notamment de payer les avantages des autres. On me parle des collègues de mes parents qui malgré 40 ans de cotisations ne peuvent pas changer de lunettes ou se faire opérer et du devoir de la France des Droits de l’Homme de prendre en charge les frais médicaux de toute personne vivant sur son territoire, légalement ou non. Normal.

On me parle de la beauté de la religion, du sens de la famille et de la spiritualité que l’on peut trouver en Inde et au Mali, chez ces peuples dignes et généreux malgré la pauvreté. On critique devant moi le catholicisme tandis que les publicités de bagnoles nous vendent de la fille strip-teaseuse, du papa transsexuel et de la tribu recomposée. La seule dignité de la France c’est d’accueillir toute la misère du monde et de régler tous les contentieux géopolitiques actuels. Ne cherchez pas la dignité de notre pays dans sa spiritualité, cela fait 30 ans qu’on lui marche sur la gueule. Comprenez que comme moi elle baisse les yeux en attendant le grand jour. Normal. Normal.

Voici la réalité normale pour des millions de nos compatriotes aujourd’hui. Une réalité asphyxiante, où l’autocensure et l’humiliation sont constantes. Une réalité où il faut baisser les yeux, semer des gens en bagnole et la fermer pour éviter de s’en prendre une, et encore si le Ciel est avec vous. Une réalité où la grippe porcine, le réchauffement climatique, la tenue de Carla Bruni occupent la première place de l’actualité, puisque la nôtre est inexistante. Notre réalité pourtant est là, bien là, il est difficile de passer à côté tout comme il est difficile de réaliser que la minorité en haut de la pyramide ne veut pas la regarder. Ma réalité est celle où l’immigré n’est plus un cadeau, où les symboles de la République ne sont plus un refuge avec une école au niveau dramatiquement bas et où les places auparavant réservées aux élites sont qualifiées de discriminantes. Cette même discrimination qui frappe tout et tous mais certainement pas le petit blanc qui va bosser à 7 heures du matin. Lui a tout sans travailler : la maison, les diplômes, la voiture et la nourriture dans le frigo. Ne t’aide pas, l’Etat t’aidera.

La France d’aujourd’hui sent mauvais, son odeur m’attrape à la gorge et me file la nausée. La France d’aujourd’hui n’est plus qu’un gigantesque tiroir à subvention, une Nation dénationalisée, désubstantialisée, schizophrène qui voit les injustices dont souffrent ceux qui la battent et refuse de venir en aide à ses fils.

Voyez-vous, je n’en peux plus. Je n’en peux plus des femmes en tchador qui se prétendent victimes de stigmatisation alors que le simple bout de tissu qu’elles portent sur leur tête n’a pas d’autre vocation que celui de montrer qu’elles sont différentes et monstrueusement plus pieuses et pures que le reste de la société. Je n’en peux plus de l’accent des banlieues et du langage sms. Je n’en peux plus d’Angot et de Lévy alors que je ne réclame rien d’autre que le droit de pouvoir mettre 20 euro dans un bouquin digne de ce nom. Je n’en peux plus des rappeurs idiots qui expliquent que les quotas sont la solution au racisme ambiant. Je n’en peux plus de ce manque de logique qui consiste à mettre tous les problèmes à l’envers pour que la seule cause qui en ressorte est que le français de souche est foncièrement mauvais.

Il parait qu’il n’y pas assez de noirs à Sciences Po. Certes. Qui interdit aux bacheliers noirs et maghrébins de passer le concours ? Dites-le moi. Y’a-t-il un quelconque texte de loi qui défende à ces jeunes éléments de la diversité de prendre un stylo et de faire une dissertation ? Allons-nous emplir nos écoles d’incapables au nom du mieux vivre ensemble tandis que pour le sport, le critère de performance et de mérite pourra rester, lui, de mise ? Allons-nous donc ainsi laisser notre culture et notre enseignement aller le cœur bouffi d’allégresse à l’abattoir ? Ne vallons-nous pas mieux que cela ? Et pourquoi moi qui suis blanche doit aller bosser mes cours après une journée de travail ? Pourquoi ai-je droit au privilège de la fatigue et du goût de l’effort parce que je suis née française et d’ascendance européenne ? N’est-ce pas une affreuse forme de discrimination ? Pour la France schizo qui est la nôtre, non. Je vous le redis, tout est normal. Dieu bénisse Pangloss, son esprit est omniprésent.

Je n’en peux plus des profs compatissants, du quinoa, des ateliers de danse africaine, des églises taguées. Je n’en peux plus des compatriotes silencieux, de la halde, de ceux qui prédisent la fin de la culture française car je sais ô combien ils ont raison. Je n’en peux plus.