L'enthousiasme des Polonais ne se dément pas

C'est un hasard hautement symbolique : en Pologne, les élections européennes coïncident avec le­ 20e anniversaire de la chute du communisme. L'Union européenne, il y a vingt ans, les Polonais en rêvaient. Et aujourd'hui, ils ont le sentiment de l'avoir gagnée. De haute lutte. Comme une récompense méritée. À en croire cependant les sondages, cinq ans tout juste après avoir été admis dans le club, ils devraient bouder les urnes.

La Pologne aurait-elle viré à l'euroscepticisme ? Bien au contraire : elle détient le record de l'euroenthousiasme (85 % d'opinions favorables). Grands bénéficiaires des aides directes qui ont dopé les prix à la production, les paysans polonais eux-mêmes, au départ farouchement réfractaires à l'UE, ont très vite reconnu que l'adhésion était la meilleure chose qui leur était arrivée depuis vingt ans.

Les faits sont là : l'intégration européenne a stimulé l'économie polonaise, contribué à réduire le chômage et à améliorer le niveau de vie. Aujourd'hui encore, face à la crise mondiale, le principal regret des Polonais est de ne pas avoir intégré plus tôt la zone euro. Même si l'euphorie qui régnait depuis 2004, année de l'adhésion, a été brisée net par la crise, l'Union n'est plus perçue comme une menace, mais comme un bouclier.

«Une sorte de revanche sur le communisme»

Il n'empêche : la participation, dimanche, s'annonce relativement faible. Il y a cinq ans déjà, elle atteignait environ 20 %. Cette fois, les enquêtes d'opinion prévoient 36 %. En Pologne comme ailleurs, l'absence de véritables thèmes européens dans la campagne et la méconnaissance des prérogatives du Parlement de Strasbourg expliquent en partie cette désaffection. Le débat sur la réforme institutionnelle apparaît bien abscons face à l'inflation, la montée du chômage ou les coupes sociales qui menacent.

Et puis, après des décennies de combat politique, de grèves, de manifestations, d'insurrections, les Polonais sont tout simplement fatigués. L'abstention, explique le politologue Ireneusz Krzeminski, est une sorte de revanche sur le communisme : «Les gens ne sont plus obligés d'aller voter, alors ils n'y vont pas.» L'Europe, jadis inaccessible, est désormais perçue comme un acquis et c'est là l'essentiel. Bref, la Pologne est devenue un pays normal.

Les européennes constitueront donc surtout un test pour le parti au pouvoir, la Plateforme civique (PO, droite libérale) du premier ministre Donald Tusk, très actif à la veille du scrutin. Passé dans l'opposition, son principal adversaire, le Parti droit et justice (PIS, droite populiste) du président Lech ­Kaczynski compte lui aussi se remettre en selle. Le chef de l'État polonais, qui a fait de l'euroscepticisme un fonds de commerce électoral, a sillonné le pays cette fois, moins pour critiquer l'Europe que le chef du gouvernement. Et si les diatribes anti-européennes ne font plus recette, il est possible de les maquiller. À l'approche du vingtième anniversaire de la chute du communisme, Lech Kaczynski se pose ainsi opportunément en champion des ouvriers des chantiers navals de Gdansk, menacés par un plan de restructuration supervisé par… Bruxelles.

L'exhortation de l'Église

L'abstention profitant d'ordinaire aux eurosceptiques, la Ligue des familles polonaises (ultracatholique), laminée aux législatives anticipées de 2007, espère refaire surface. Elle s'est alliée au parti Libertas de l'Irlandais Declan Ganley qui lui a redonné un peu de visibilité.

L'extrême droite mise sur les valeurs nationales, c'est-à-dire catholiques, en opposition aux valeurs «permissives et laïques» de l'UE. C'est pain bénit pour l'Église polonaise, qui a mis tout son poids dans la bataille et qui n'a approuvé l'adhésion à l'Union que du bout des lèvres. L'épiscopat a exhorté les fidèles à voter pour ceux des candidats qui partagent «pleinement» son point de vue, à savoir l'interdiction totale de l'avortement, de la fécondation in vitro, de l'euthanasie et du mariage homosexuel. Avec l'espoir de «contribuer à un renouveau de la face chrétienne de l'Europe».

Les sondages laissent cependant peu d'espoir aux souverainistes de tous poils. La crise économique ne devrait pas davantage profiter à la gauche qui peine à sortir de sa traversée du désert. Les libéraux au pouvoir devraient arriver nettement en tête, loin devant les populistes des frères Kaczynski. Quant à l'extrême droite, elle ne devrait même pas franchir le seuil requis de 5 % pour entrer au Parlement de ­Strasbourg.

Les faits sont là : l'intégration européenne a stimulé l'économie polonaise, contribué à réduire le chômage et à améliorer le niveau de vie