Vergès et Tarrek Aziz

zongo a écrit:Tes objections ne paraissent pertinentes, je le dis aussi que la méthode de cet avocat est plus que limite. On peut aussi dire que Vergès a un égo surdimensionné, qu'il fait sa pub, etc. Pourquoi pas.
Mais personnellement je trouve que l'occasion est bonne de faire un bilan en toute transparence de l'histoire politique irakienne depuis l'accession au pouvoir de Saddam Hussein. Et pour moi ce n'est pas faire de l'anti-occidentalisme, il n'y a rien de mal à reconnaitre les erreurs accumulées par nos gouvernements. Franchement, quelle idée d'aller vendre des armes chimiques à un taré susceptible de les utiliser sur sa propre population ? C'est honteux !

zongo a écrit:Je crois que Collard est moins dans le combat politique, il est aussi très franco-français dans le choix de ses affaires.

Niveaux ténors du barreau je n'en connais pas beaucoup, je sais que Kiejmann avait une bonne réputation, y'avait Badinter, et puis aussi à droite Françis Spziner (hmm désolé pour l'orthographe je ne suis plus très sûr de moi), proche de Chirac à un moment. Excellent d'après ce que j'ai compris.

Tout visiteur de maître Vergès vous le dira : son petit hôtel particulier, à deux pas du Musée de la vie romantique, dans le IXe arrondissement de Paris, tient du palais de Xanadu. Un petit homme de 83 ou 82 ans, selon sa biographie truquée, y a fabriqué son monde, flottant dans les moirés de la pénombre. Les rideaux, les stores, les volets closent un univers d'où jaillissent des éclats de souvenirs qui ressembleraient à autant d'indices d'une vie éparse, compliquée, amusée. Tout à trac : « Bon Dieu, je trouve la vie extraordinairement amusante. Mon médecin me jure malgré mes excès que j'ai les poumons blancs et rien dans le sang. Je choisis mes propres affaires à plaider. Mon banquier tolère mes découverts. J'ai été militant communiste, mais je suis resté propre, j'ai fait la guerre, et je n'ai pas de blessures. Que vouloir de plus à mon âge, et pourquoi ne pas s'amuser ? » Et de le démontrer dans l'un de ses rires qui manquent de le faire déborder. Les tapis étouffent les confidences. Les bouddhas et les idoles qui peuplent un bureau baroque grimacent et restent sur leur quant-à-soi magnétique. Dans l'ombre et la demi-teinte, cela fait longtemps que Jacques Vergès ne s'appartient plus. Entre la caricature, le roman balzacien et le thriller de la Guerre froide.

Vive le crime !
Il est devenu, à son corps plus ou moins défendant, une figure du scandale judiciaire et des combats douteux. Il existe des erreurs de justice, maître Vergès, lui, est une anomalie judiciaire. Pour ce qui le concerne, l'instruction est toujours en surcharge. Le cinéaste Barbet Schroeder vient de le filmer héros de son documentaire, L'avocat de la terreur, ou plutôt un témoin hors normes des violences politiques du XXe siècle. Vergès le soufre. Vergès « le salaud lumineux », comme le titrait l'un de ses livres d'entretiens qui ne parvient pas à assécher les mystères du personnage. « Depuis que nous avons goûté au fruit de l'arbre de la connaissance, qui est en même temps celui du mal, nous avons quitté définitivement le vert paradis, sans rêves ni remords. Nous vivons le monde du péché : le nôtre. Marchant à grands pas vers l'inconnu, lendemains qui chantent ou catastrophe finale. Ce monde sue le crime, disait Baudelaire, mais qu'il serait ennuyeux sans lui ! », plaida Jacques Vergès en 2006, dans une communication à l'Institut de France. Comme Lacordaire, Jacques Vergès adore recevoir les premières confidences du diable. Et le diable bouge partout. Il est dans les détails. Il est dans les apparences. Il est dans l'eau qui dort : « Qu'une amie vienne me voir pour me demander de régler moi-même son divorce, et je l'en dissuade, la renvoyant vers des confrères. Mais si une grande bourgeoise inconnue me le demande, alors là je m'en délecte, découvrant sous le vernis de l'élite, les pires turpitudes et les pires mesquineries du mari. » Il aura été surtout dans les crimes d'Etat, les terrorismes rouges et bruns, le nihilisme des prédateurs de toutes sortes qu'a défendu le grand maître de la théorie de la rupture.
Sa partie ressemble aux échiquiers et aux vieux jeux de stratégie du monde entier, disposés dans l'antichambre de son bureau, sur une longue table : on croit y discerner un stratège fin et subtil, séducteur et tueur se livrant à des parties d'échecs sans fin, roquant, croisant, démultipliant les coups « mais je n'y touche jamais, je ne sais pas y jouer ! », s'amuse l'avocat. Lui, en guise de stratégie, aura renversé bien des tables, et tant pis si les pions mélangés auront été fracassés, anéantis dans cette brutalité de l'Histoire qui viole l'espace d'un prétoire. Maître Vergès a sculpté une attitude particulière parce qu'il a toujours eu « un sentiment de singularité ». Son frère, Paul Vergès, tient encore le PCR, Parti communiste réunionnais, avec main de fer stalinienne et roublardise de notable rad-soc, même si le petit timonier octogénaire a mené le combat de trop aux dernières législatives. « Ils se disent jumeaux, mais c'est bien entendu pour en rajouter dans la mythologie », s'amuse un proche du frère de La Réunion. Né quelque part en Thaïlande, l'une de ses dates certaines est celle du décès de sa mère, emportée par la fièvre tropicale en 1928, et l'arrivée à La Réunion, un pays de métissage, gouverné par des colons alcooliques et arrogants, bientôt pétainistes. L'adolescent eurasien est frappé par la déchéance des empires : ainsi, deux fils d'empereurs vietnamiens déposés par la France y vivent comme en exil.

Mélange des genres
C'est dans le chaos que Jacques Vergès s'est construit. On évoque chez lui les années Viet-minh, les années porteur de valises de l'Algérie, les années de plomb, mais beaucoup plus rarement son acte fondateur : « Lorsqu'en 1939, la guerre a éclaté, je me suis dit “Chic ! L'aventure commence ! Le monde m'appartient, on va s'amuser. » En 1942, après un baccalauréat en philosophie, condisciple de Raymond Barre, il rejoint Liverpool, puis l'infanterie du général de Gaulle pour combattre au Maroc, en Algérie, en Italie et enfin en France métropolitaine. « Le nazisme me dégoûtait, la guerre m'a passionné : J'ai eu l'honneur délicieux de servir un général condamné à mort dans une guerre idéologiquement propre », se noit-il dans les volutes de cigare. L'affiche de L'Appel du 18 juin 1940 figure en bonne place à l'entrée de son bureau, même s'il préfère mettre en avant les attributs de la décolonisation, les cicatrices haute couture de la Guerre d'Algérie, et plus récemment les scandales Barbie, Milosevic et Khieu Samphan. En 1949, le président de l'Association des étudiants coloniaux, militant communiste depuis trois ans, rencontre, dans le cadre de ses activités, le futur Pol Pot et Erich Honecker, Staline, Indira Gandhi et Nehru. Il deviendra avocat par empathie pour un petit truand, qui est son premier procès raté. Mélange des genres toujours : Abdellaziz Bouteflika, dans une préface pleine d'échardes de langue de bois, n'a-t-il pas salué « le frère de combat Jacques Vergès », par ailleurs défenseur du Front islamiste du salut (FIS) en juillet 1992 ? * L'avocat s'est bâti une solide réputation avec la guerre d'Algérie, dès 1957, et toutes les pages de la décolonisation.
Dans la mythologie Vergès, huit années manquent au pedigree, dont les contours ressemblent à la cicatrice d'une guerre très personnelle. « On peut faire beaucoup de choses en huit ans, agir et penser, se reconstruire », cille-t-il. De retour à Paris en 1978, il a rebondi et défendu les soldats de plomb fondus de la Guerre froide, même s'il peut sortir à la fin d'une phrase que, décidément, « l'avocat Klaus Croissant était un sale con ». Viendront les grands procès soldant le XXe siècle des horreurs. Il demeure encore fasciné par « la petitesse sénile et le catholicisme cagot de Klaus Barbie, là où on aurait encore voulu le dépeindre grand aryen blond pour l'Eternité ».
Et de reprendre un thème qu'il a longuement développé : « Ce sont des monstres, dit-on parfois de certains criminels. Mais à les exclure de l'Humanité, on se condamne à ne pas comprendre la genèse de leurs actes, on renonce à rechercher les moyens de les prévenir. »
Dans la justice de Jacques Vergès, il doit tout jouer, le procureur et le défenseur, le bourreau et la victime, et bien entendu le chroniqueur judiciaire de lui-même, sans oublier le témoin à charge des autres. Dans l'un de ses longs poèmes, car bien entendu maître Vergès écrit des poèmes, publiés à Alger, cette strophe le résume comme elle l'anéantit : « Je suis l'arbre des banians/ De moi descendent mes racines/ Mes ancêtres vrais ou que j'imagine/ J'abolis le temps et ma personne/ Je suis tous et ne suis rien. »*

* Le Colonialisme en procès, Anep éditions, 2006, Alger.

"L'Avocat de la terreu"r, en salles. "Que mes guerres étaient belles !", Editions du Rocher, 18 €.

« Qu'une amie vienne me voir pour me demander de régler moi-même son divorce, et je l'en dissuade, la renvoyant vers des confrères. Mais si une grande bourgeoise inconnue me le demande, alors là je m'en délecte, découvrant sous le vernis de l'élite, les pires turpitudes et les pires mesquineries du mari. »

« Ce sont des monstres, dit-on parfois de certains criminels. Mais à les exclure de l'Humanité, on se condamne à ne pas comprendre la genèse de leurs actes, on renonce à rechercher les moyens de les prévenir. »