Qui veut gagner les milliards des 35 heures ?

Joli coup de billard, monsieur Valls !

En osant proposer le déverrouillage de la semaine des 35 heures, le député socialiste a propulsé une boule qui a déjà touché trois bandes.

La première est médiatique : son audace a déclenché un barouf qui l'a sorti de l'anonymat redouté par tout aspirant gouvernant en ce début de XXI e siècle.
La deuxième est politique : Valls s'est ainsi payé la tête de Lionel Jospin (qui avait voulu les 35 heures quand il était Premier ministre), de Martine Aubry (qui les avait mises en oeuvre alors qu'elle y était opposée) et de Dominique Strauss-Kahn (qui avait suggéré la mesure à un Jospin en panne de programme après la dissolution surprise de l'Assemblée en 1997).
La troisième bande est économique. Car il est apparu assez vite, dans les déclarations des uns et des autres, que la semaine des 35 heures s'est déjà volatilisée, dispersée par une foultitude de mesures.

En revanche, derrière le fantôme des 35 heures, survivent toute une série de flocons de neige tombés sur les entreprises pour les aider à raccourcir (puis à rallonger) le temps de travail. Avec d'autres flocons tombés plus tôt, ils ont formé une énorme boule de neige. Elle a été baptisée « allégements de charges sociales » et coûte la bagatelle de 22 à 23 milliards d'euros par an à l'Etat.

La petite boule de Valls pourrait bien faire fondre cette grosse boule financière. C'est une cible traditionnelle de la gauche qui n'y voit que de scandaleux cadeaux faits aux patrons. Par les temps de disette financière, ça pourrait aussi devenir une cible de droite.

Il y a peu de réserves aussi tentantes pour un gouvernement qui sait bien qu'il va devoir trouver de l'argent, toujours plus d'argent. A l'approche d'une élection, pas question de relever la TVA ou de toucher à l'impôt sur le revenu. La taxation du patrimoine sera modifiée dans la « neutralité budgétaire totale ». Et puis le CAC 40 fait tellement de profit...

Etrange idée ensuite de vouloir supprimer ces allégements de charges, car ils ont été créés pour une bonne raison : stimuler l'emploi non qualifié.

Cet emploi a été pénalisé par un salaire minimum à la fois relativement élevé et généralisé (le minimum allemand ne s'applique pas dans l'agriculture, le britannique contourne les jeunes).

Pendant les deux décennies qui ont suivi la création du SMIC, en 1970, le nombre d'emplois a progressé en France de 6 % contre... 50 % aux Etats-Unis, pour une croissance analogue (un peu plus de 70 % au total).

Et c'est logique : la plupart des salariés dont la production vaut moins que le salaire minimum « chargé » se retrouvent au chômage.

Depuis le début des années 1990, gouvernements de gauche et de droite ont lutté contre ce qui apparaissait une fatalité en abaissant les charges sociales sur les bas salaires.

En vingt ans, le nombre d'emplois a progressé deux fois plus vite que sur les deux décennies précédentes (+ 12 %) avec une croissance moitié moindre (+ 38 %). Les allégements de charges ont joué un rôle majeur dans cet enrichissement de la croissance en emploi. Les supprimer, c'est prendre le risque de mettre au chômage des centaines de milliers de Français défavorisés.

On ne devrait pas jouer au billard avec la tête des salariés.